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G. GUÉROULT. — du rôle du mouvement

à l’art lyrique, le seul élément par lequel il est réellement supérieur à l’art dramatique. Quelque beau que vous supposiez le récitatif, il ralentit toujours l’allure de la phrase, du sentiment exprimé. De même, s’il s’agit de rendre, avec une précision mathématique, toutes les nuances de la pensée, la musique est certainement inférieure à la poésie ou à la prose qu’elle ne peut qu’arrêter, entraver dans leur marche, plus rapide que la sienne. Elle ne reprend sa supériorité que par la puissance communicative, et collective, des mouvements dont elle marque toutes les phases avec tant d’exactitude. Sous ce rapport, le système de Gluck et de Wagner, la théorie de la tragédie lyrique, où de la musique subordonnée au texte, ancilla poesis, est condamnée à suivre pas à pas les paroles, nous semble en contradiction absolue avec les propriétés essentielles de la musique et de la poésie.


Conclusion.

Dans cette revue infiniment trop rapide des différents arts, nous avons trouvé partout le mouvement, le mouvement se transmettant de l’âme de l’artiste à celle du spectateur ou de l’auditeur, soit directement par l’intermédiaire des sens, soit à travers l’âme des exécutants ou des acteurs. Nous avons constaté que, dans cette transmission, ce mouvement, cette émotion subissait des transformations révélatrices de la nature de chacun. Dans la plupart des cas, nous avons cru reconnaître que le motif du mouvement, le sujet de l’œuvre n’avaient qu’une importance relativement secondaire. Ce qui est véritablement intéressant dans l’art, c’est qu’il nous met en communication, en communion avec les plus grandes âmes qui aient jamais existé, qu’il nous les raconte, et en même temps qu’il nous dévoile les affinités ou les dissemblances qui existent entre elles et nous. En soi-même, le sujet d’Iphigénie laisserait assez indifférent ; il s’agit d’une anecdote plus ou moins fabuleuse ; les faits se sont passés, il y a des milliers d’années, sur un petit coin de terre, chez une peuplade à demi barbare. Tout près de nous, chaque jour, se produisent des événements d’un caractère au moins aussi douloureux. Mais, par un privilège unique, la fille d’Agamemnon a intéressé à son triste sort Euripide, Racine, Gluck, Gœthe. Chacun de ces sublimes génies s’est montré à nous, à cette occasion, sous les espèces d’Agamemnon partagé entre l’ambition et la tendresse paternelle, de Clytemnestre emportée par les fureurs de l’amour maternel au désespoir, d’Oreste tourmenté par les Furies, d’Iphigénie attendris-