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ne disons rien des ecclésiastiques, qui font ordinairement partie du corps consultatif, il est nécessaire d’indiquer qu’on peut en tenir compte sans que cela change rien à ce que nous venons de dire. Si les usages modernes nous font penser que la classe des prêtres se distingue de celle des guerriers, elles n’en formaient pas deux dans l’origine. Nous savons déjà que, dans les sociétés militaires, le roi est à la fois général en chef et grand prêtre, accomplissant à ce double titre les prescriptions de la divinité ; ajoutons que le prêtre subalterne est ordinairement un lieutenant dans les guerres censées entre- prises d’après l’inspiration divine, Avant de partir pour la guerre, Radama, roi de Madagascar, « en qualité de prêtre comme en celle de général, sacrifia un coq et une génisse, et offrit une prière au tombeau d’Andria-Masina, le plus illustre de ses ancêtres. » Ajoutons que chez les Hébreux les prêtres accompagnaient l’armée au combat ; en effet, nous voyons Samuel, prêtre dès l’enfance, porter à Saül le commandement de Dieu de « frapper Amaléc », et mettre lui-même Agag en pièces. Partout, chez les sauvages ou dans les sociétés à demi civilisées, nous voyons les prêtres prendre une part plus ou moins active à la guerre ; par exemple, chez les Dacotahs, les Mundrucus, les Abipones, les Khonds, les prêtres décident quand il faut faire la guerre et donnent le signal de l’attaque. Chez les Tahitiens, les prêtres « portaient les armes et marchaient avec les guerriers au combat » : chez les Mexicains, ils étaient ordinairement les instigateurs des guerres ; ils suivaient leurs idoles sur le front de l’armée, et leur sacrifiaient sur-le-champ les premiers prisonniers faits sur l’ennemi. » Chez les anciens Egyptiens, « le prêtre de Dieu était souvent un commandant de guerriers ou de marins. Enfin, en dépit d’une croyance opposée, il y a une chose qui montre combien est naturel le rapport que nous trouvons commun à toutes les sociétés grossières et antiques : c’est la réapparition de ce rapport dans les sociétés plus modernes. Quand le christianisme eut franchi sa période primitive, où il n’avait rien de politique, pour entrer dans celle où il devint une religion d’État, ses prêtres reprirent le rôle militaire primitif à des époques activement militaires. « Au milieu du viie siècle, en France, le service militaire régulier de la part du clergé français était déjà en plein exercice. » Dans les temps féodaux primitifs, les évêques, les abbés et les prieurs devinrent des seigneurs féodaux, avec toute la puissance et la responsabilité qui s’attachaient à leur position : ils entretenaient des troupes à leur solde, prenaient des villes et des forteresses, soutenaient des sièges, conduisaient ou envoyaient des forces au secours des rois. Orderic Vital nous parle de prêtres qui, en 1094, conduisaient leurs paroissiens à la bataille, et des abbés leurs