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emploient par l’allégeance. Ces suivants eux-mêmes, mieux pourvus que la masse d’armes offensives et défensives, en viennent à la regarder avec mépris, et à travailler à l’asservir.

Ce n’est pas seulement à l’occasion des assemblées générales, mais de jour en jour dans leurs localités respectives, que le pouvoir des chefs, établi sur ces bases, réduira de plus en plus les hommes libres au rang de personnes dépendantes, surtout lorsque les petits nobles sont dispensés du service militaire qu’ils doivent au roi, ou qu’on leur permet de laisser tomber ce devoir en désuétude, comme cela est arrivé en Danemark, environ au xiiie siècle. « Les paysans libres, qui étaient à l’origine propriétaires indépendants du sol et possédaient un droit de vote égal à celui des nobles des premiers rangs, se trouvèrent ainsi obligés de rechercher la protection de ces puissants seigneurs, et de devenir les vassaux de quelque Herremand voisin, ou d’un évêque, ou d’un couvent. Les diètes provinciales, les Lands-Tings, s’effacèrent peu à peu devant le parlement national général du Dannehof, l’Adel-Ting, ou Herredag, ce dernier exclusivement composé de princes, de prélats, et d’autres grands du royaume… L’influence de l’ordre des paysans diminuant, tandis que les bourgeois n’avaient encore aucune part du pouvoir politique, la constitution, disloquée et vacillante, marcha rapidement vers la forme qu’elle prit finalement, celle d’une oligarchie féodale et sacerdotale. »

Une autre cause de la perte du pouvoir par les hommes libres armés, et du gain du pouvoir par les chefs armés qui composent le corps consultatif, est une conséquence de l’extension du territoire occupé, résultat de la combinaison et de la recombinaison des sociétés. Comme Richter le fait remarquer au sujet des temps mérovingiens, « sous Clovis et ses successeurs immédiats, le peuple assemblé sous les armes exerçait une influence réelle sur les résolutions du roi. Mais, après que le royaume se fut étendu, l’assemblée du peuple entier fut une chose impossible » : ceux-là seuls qui demeuraient près des lieux désignés pour la réunion pouvaient s’y rendre. On peut citer à l’appui deux faits, dont l’un a déjà été mentionné dans un autre chapitre. « Le plus grand conseil national de Madagascar est une assemblée du peuple de la capitale et des chefs des provinces, des districts, des villes, des villages, etc. » Dans le Witenagemot anglo-saxon, dit M. Freeman « on voit quelquefois mentionnée précisément la présence d’un grand nombre d’assistants appartenant aux classes populaires ; ce sont des habitants de Londres ou de Winchester. » Gela veut dire que tous les hommes libres avaient le droit d’y assister, mais que ceux de la localité pouvaient seuls faire usage de ce droit. Cette cause de réduction du nombre