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REVUE PHILOSOPHIQUE

trent pour enfanter une œuvre commune. Il en résulte que la psychologie est une dépendance de la biologie et de la sociologie, et la véritable méthode consisterait à déduire « sans exception » toutes les lois psychologiques des lois biologiques et des lois sociales ; mais en pratique cette déduction est inefficace, et l’on y remédie par la description et les procédés empiriques.

Enfin M. de Roberty termine et conclut son ouvrage par une étude intéressante sur le positivisme et ce qu’il appelle le monisme scientifique ou doctrine de la réduction des phénomènes à l’unité, doctrine différente du panthéisme et du matérialisme, auxquels d’ordinaire est réservé ce nom.

On a pu voir, par l’analyse qui précède, quelle est la variété des questions soulevées et discutées dans ce livre ; nous ne pouvons songer à les reprendre toutes. Il est quelques points cependant sur lesquels nous voudrions revenir, entre autres la nature et le rôle des faits psychiques dans la formation de la société. Que les faits psychiques supposent une certaine organisation et aient pour conditions les faits biologiques, nul ne le conteste plus ; mais il faut déjà reconnaître que par nature, à titre de faits, et toute considération métaphysique mise à part, ils en diffèrent entièrement, et qu’on ne peut les en déduire par voie de raisonnement. Il n’est pas impossible à priori que l’on arrive à ramener les fonctions de la vie à des combinaisons chimiques, et celles-ci à des compositions de mouvements ; il semble qu’il n’y ait plus à prouver aujourd’hui que le plaisir ou la douleur, faits psychiques, ne se ramènent par aucune analyse au mouvement moléculaire qui les accompagne. Les deux ordres de faits, étroitement unis, ne se confondent pas, et sur ce point les associationnistes et les psycho-physiciens nous paraissent bien plus près de la vérité. Quant au second « facteur » des faits psychiques, la société, il contribue sans nul doute à leur développement, c’est-à-dire à leur complexité croissante ; on ne saurait, si l’on ne préjuge à priori et en dehors de toute expérience possible, y voir une condition de leur apparition même. À moins de réserver, par une singulière restriction, le terme de société à la seule réunion des éléments organiques qui composent un être vivant, rien n’autorise à dire que le fait social précède le fait psychique comme une condition nécessaire. La société proprement dite, animale ou humaine, se développe par l’action à distance ; il est donc naturel qu’elle ait pour auxiliaire, et même pour auxiliaire principal, le concours de certaines sensations et de certaines idées communes aux différents individus. C’est qu’il y a, comme dans un organisme bien lié, action et réaction de l’ensemble sur les parties et des parties sur l’ensemble. La société explique certain état psychique à un moment donné, parce qu’elle est, au même titre que le milieu des objets inanimés, une source de sensations et de sentiments déterminés ; mais c’est une singulière exagération de dire que l’on puisse déduire des seules lois biologiques et sociales la production d’un seul fait psychique.