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qu’en constater les effets. C’est donc quelque chose d’analogue, sinon d’identique à notre liberté, un fait de conscience extériorisé et généralisé par un raisonnement analogique. Ajoutez que les dieux épicuriens ont une origine évidemment psychologique ; idéalisez le sage d’Épicure et logez-le sous forme de jeune éphèbe dans les intermondes, vous aurez un des dieux fainéants du système.

Pour toutes ces raisons, il semble donc qu’il convenait de commencer par la psychologie et de terminer par la cosmologie et la théologie. Les quatre premiers chapitres sont remplis par des développements intéressants sur les antécédents historiques du système, sur la vie d’Épicure et son temps, sur la communauté ou confrérie (brotherhood) épicurienne, et enfin sur les sources et documents qui permettent à l’érudit de reconstituer l’ensemble de la doctrine. Les six chapitres suivants renferment exposé détaillé du système ; l’auteur en détermine d’abord le plan général et les principales divisions : il étudie successivement la théorie du monde physique, celle du souverain bien, celle des atomes, puis la cosmologie et la théologie, et en dernier lieu la logique ou canonique et la psychologie. Le dernier chapitre renferme un tableau historique de la destinée du système dans l’antiquité et dans les temps modernes, et enfin les conclusions.

L’auteur, entreprenant une œuvre de vulgarisation, n’a aucun scrupule à exposer et à développer même les idées les plus connues d’Épicure. Notre analyse peut donc sans inconvénient laisser de côté un grand nombre de développements, non parce qu’ils manquent d’intérêt, mais parce qu’ils manquent de nouveauté ; heureusement, même après ces omissions préméditées, il reste encore beaucoup d’excellents passages à signaler.

L’auteur s’attache d’abord à distinguer nettement l’épicurisme des philosophies antérieures dont il dérive plus ou moins et de la philosophie contemporaine, contre laquelle il entreprend une lutte a charnée, le stoïcisme. C’est un trait commun de l’épicurisme et du stoïcisme d’oublier l’homme social et de ne considérer que l’homme individuel, En cela ils se séparent de Platon et d’Aristote : pour le premier, la politique était une partie de la morale ; pour le second, la morale était une partie de la politique, qui devenait ainsi la science maîtresse, architectonique ; mais ni l’un ni l’autre n’avait songé à isoler le sage et à le dispenser des devoirs sociaux. À cet égard, les deux systèmes se rapprochent du christianisme. Leur royaume est de ce monde ; mais, dans ce monde lui-même, ils conseillent de vivre à l’écart et de ne pas se laisser emporter au tourbillon des événements et au tumulte des affaires. Ils s’adressent à un vaste public et par conséquent se font populaires : ils ont en vue l’homme plus que le citoyen, l’ignorant autant que le savant, tout notre être et non pas simplement la raison. Voilà pourquoi, ainsi que l’a vu Bacon, leur morale fut pour le monde païen une sorte de religion. Ce sont bien moins des savants qui veulent instruire que des prêtres qui veulent convertir ; avec plus ou moins d’ardeur, ils sont tous animés