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ANALYSES. — WILLIAM WALLACE. Epicureanism.

de l’esprit de prosélytisme. Individualisme moral, subordination de toute science à la morale, réalisme matérialiste, voilà, selon M. Wallace, les caractères communs des deux doctrines. Voici les différences : les épicuriens ne méprisent pas seulement les affaires, mais ils dédaignent de plus l’action ; leur sage n’a qu’une vocation, qui est de vivre heureux et tranquille, jouissant de sa sagesse dans un indolent quétisme, et loin d’être, comme le sage stoïcien, résigné au destin et soumis à la divinité, il n’aspire qu’à se mettre au-dessus du hasard et à devenir son seul et unique maître. Pas d’accomodement ni de compromis avec la mythologie populaire, que les stoïciens s’efforçaient d’interpréter favorablement et d’absorber dans leurs doctrines ; l’épicurien va jusqu’au bout de ses négations, et ce n’est pas un des moindres griefs de Cicéron, partisan peu convaincu d’une religion d’État, contre la secte épicurienne, Par suite, plus de présages, nulle intervention d’une providence dans les affaires humaines ; les aruspices ne pourront plus se regarder sans rire. Enfin, d’accord avec les stoïciens, pour fonder la morale non sur l’ordre social et politique, mais sur la seule nature, ils comprennent la nature d’une manière fort différente : notre nature n’est pas simplement l’instinct de conservation personnelle, l’effort pour maintenir sa propre constitution, mais bien la possession de toutes les facultés et la capacité de toutes les jouissances et de tous les avantages de la condition humaine.

La biographie d’Épicure et la description de l’Institut épicurien sont des plus attachants ; mais ces menus détails échappent à l’analyse, L’auteur a la don des narrations animées et intéressantes. Détail assez piquant, il aime, quand la langue anglaise ne lui fournit pas la nuance exacte, à recourir à notre langue, C’est ainsi qu’il parle du prestige intellectuel d’Athènes, des bons-mois des cyniques, qu’il oppose les philistins et les bourgeois aux artistes, qu’il déclare que la chronique scandaleuse à abusé de la présence des femmes dans les jardins pour calomnier la secte épicurienne, et que la logique formelle a été de tout temps la bête noire des écoles empiriques. On sent qu’au besoin l’auteur nanierait notre langue avec autant de facilité et d’élégance que la sienne propre. Un esprit aussi fin ne pouvait condamner brutalement un secte aussi sympathique que la secte épicurienne. Certes il n’est pas de ceux qui disent : « Passe encore pour la morale ! » Mais il interprète dans un sens favorable beaucoup de maximes condamnées, quelquefois à la légère. Le maître écrit à Métrodore que la doctrine conforme à la nature a pour principal objet l’estomac, et que le plaisir du ventre est le principe de la racine de tout bien. Cela ne voudrait-il pas dire tout simplement que pour vivre en philosophe il faut vivre et que pour vivre il faut manger ? Primum vivere, deinde philosophari. L’étranger qui se rend au jardin d’Épicure y lit cette inscription attrayante : « Passant ! voici un séjour délicieux ; voici où l’on trouve, dans la volupté, le souverain bien ! » S’il entre, il reçoit bon accueil ; le maître est affable, hospitalier. Libéralement, il offre au visiteur de la