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ANALYSES. — WILLIAM WALLACE. Epicureanism.

l’épicurisme. Rejeter les plaisirs « en mouvement », ceux qui ne sont qu’un chatouillement (titillatio) agréable des sens, c’était épurer le cyrénaïsme ; de même que l’instinct de la mesure, le sentiment vague de l’ordre avait déjà déterminé les cyrénaïques à modifier et atténuer la morale effrontée prêchée par Calliclès dans le Gorgias, et qui consiste à laisser prendre à ses passions toute l’énergie et l’impétuosité dont elles sont capables et à employer tous les moyens, bons ou mauvais, pour les assouvir. Toutefois le souverain bien des épicuriens est bien inférieur au souverain bien d’Aristote : celui-ci, c’est la perfection sentie et goûtée sous le nom de bonheur, car le bonheur est le complément ou l’achèvement de la perfection comme le plaisir est le complément de l’acte ; l’indolentia, au contraire, est le plus bas degré de cette perfection sa condition la plus élémentaire, c’est-à-dire l’absence de trouble, la quiétude de l’âme, la santé et la vigueur physiques. Pour réduire au minimum l’absurdité de tant de mouvements atomiques sans cause, l’épicurisme inventa le clinamen ; pour réduire au minimum l’absurdité d’une morale du plaisir prescrivant l’austérité, l’épicurisme inventa l’indolentia. Mais ni l’animal ni l’enfant qu’Épicure prend pour exemples, comme suivant la vraie nature, ne poursuivent la non-douleur ; ils cherchent le plaisir positif. Ou plutôt, dès l’origine, ils cherchent non le plaisir qu’ils ignorent encore mais bien le déploiement et le libre jeu de leur activité, dont le plaisir ne sera que la conséquence. Égoïste inconscient et innocent, le véritable épicurien croit accomplir rigoureusement tous les devoirs envers soi-même en satisfaisant les besoins que la nature a rendu impérieux et invincibles et en supprimant tous ceux qui ne sont ni naturels ni nécessaires ; il remplace le lien social par l’amitié d’un cercle choisi, et il croit sincèrement avoir banni toutes les causes de discorde en supprimant la plupart des besoins origine des rivalités et des dissensions. Le système moral ne manque pas d’harmonie ; aussi ne faut-il pas s’étonner si M. Wallace le place bien au-dessus de l’utilitarisme comme conception philosophique : « En somme, l’épicurisme est bien supérieur à l’utilitarisme ; il nous offre une théorie complète de la nature, el non une simple hypothèse destinée à rendre compte de nos idées morales. C’est un effort pour guider l’homme à travers les perplexités de la vie, une religion autant qu’une théorie scientifique. »

Dans l’étude de la théorie atomistique, nous relèverons surtout deux développements neufs et intéressants ; la comparaison de l’atomisme ancien avec l’atomisme moderne et la théorie de l’idéalité du temps et de l’espace chez les épicuriens, L’ancien atomisme n’est qu’une hypothèse sur les phénomènes et ne repose que sur un fondement ruineux, faute de faits scientifiques. Le modeste atomisme se présente comme une induction légitime, et repose sur un vaste ensemble de faits scientifiquement constatés, On pourrait dire que la théorie épicurienne ne satisfait que l’imagination, tandis que la théorie moderne accepte le contrôle