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ANALYSES. — J. VEITCH. The Method of Descartes.

qui portent sur la réalité des choses pensées, sont d’abord mis en suspicion par Descartes. La lecture de la première méditation permet de s’en convaincre. Et, le doute une fois né, que cherche Descartes ? Une proposition où l’essence et l’existence soient unies d’une manière si indissoluble qu’on ne puisse nier l’une sans l’autre. Or tel est le caractère du Cogito ergo sum.

Ce caractère, M. Veitch l’a mis en vive lumière, mais sans avoir montré, non plus d’ailleurs que les précédents interprètes de Descartes, comment, dans l’ensemble du système cartésien, cette proposition clôt le cycle de la science proprement dite et ouvre celui de la métaphysique. Mais peut-être M. Veitch n’a-t-il voulu parler que de ce dernier. Abordons maintenant l’analyse de cette intéressante partie de son introduction.

Descartes est l’homme des temps modernes, et même de tous les temps, qui le premier à fondé la philosophie sur la conscience. Il se demande s’il y a dans la conscience un élément qui puisse nous garantir sa vérité et sa certitude. Pour répondre, il doute et du monde extérieur et des vérités mathématiques. Mais ce doute rencontre des limites dans la conscience de soi, laquelle implique en même temps l’existence de soi.

Le doute lui-même est un acte ou un état défini de conscience. Pour en douter, il faudrait un autre acte de conscience, et ainsi de suite. À ce fait est liée, pour Descartes, d’une manière inséparable, la réalité du moi. Mais Descartes ne déduit pas le moi de l’acte de conscience : l’un et l’autre lui sont donnés comme les deux facteurs inséparables du même fait d’expérience dans un temps défini. Par la pensée en effet (cogito), Descartes n’entend pas une sorte de conscience abstraite, isolée des actes déterminés de conscience. Le cogito est le fait concret du moi pensant, c’est l’expérience de la conscience sous une forme définie.

Quelles sont maintenant les relations de l’existence et de la pensée ? La seconde partie du Cogito ergo sum semble, quant à la forme, une déduction de la première. On peut croire que, grâce à une prémisse sous-entendue, Descartes conclut son existence de sa pensée. Il a même, dans les Principes, présenté l’ergo sum comme la conclusion d’un syllogisme incomplet, M. Veitch s’élève avec raison contre cette interprétation, qui n’irait à rien moins qu’à ruiner le principe de la métaphysique cartésienne. Le Cogito ergo sum est, à ses yeux, « la synthèse originale de la relation de qualité et de substance. » La notion commune « ce qui n’est pas n’a ni affection ni qualités » est, pour lui, € une façon réfléchie d’établir ce qui est enveloppé dans l’intuition primitive ; » si elle repose sur cette intuition, il est aussi vrai de dire que cette intuition l’implique.

M. Veitch s’applique, avec une pénétrante dialectique, à solidement établir cette thèse fondamentale dans la philosophie cartésienne contre toute interprétation erronée. Ainsi dans ses Lay Sermons, p. 328, Huxley a prétendu que le je suis est assumé dans le je pense, que par