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ANALYSES. — J. VEITCH. The Method of Descartes.

n’eût fait que présenter deux expressions d’un même fait, Or le but de Descartes n’était pas de trouver une simple relation de convertibilité entre deux notions, mais de saisir sur le fait une existence de la réalité de laquelle il ne pût pas douter. Rien de plus exact, à notre sens, que cette interprétation de la pensée cartésienne. Le doute méthodique, on l’a trop peu remarqué jusqu’ici, est surtout objectif ; il porte moins sur la vérité subjective des notions conçues par nous et des liaisons qu’elles forment, que sur la réalité objective de ces notions et de ces jugements. Les objets sont-ils tels que je le pense ? Ma pensée, en un mot, est-elle l’expression adéquate de la réalité ? Pour sortir de peine, Descartes fait la revue de ces notions, et il se demande s’il n’en est pas où l’existence soit impliquée d’une manière inséparable. Le Cogito ergo sum, dans lequel existence et conscience sont simultanément données, est la réponse à cette question, et l’issue hors du doute. Il faut donc admettre, suivant les expressions de M. Veitch, que « ma conscience me révèle mon existence, qu’elle est logiquement et chronologiquement le commencement de la connaissance. » Mais, avec elle, mon existence m’est donnée. « Je suis, en tant que je suis conscient. » Ce n’est pas à dire pour cela que mon existence soit identifiée d’une manière absolue avec ma conscience momentanée ; car, si mon être était identique avec la conscience que j’ai de moi dans un instant défini du temps, il ne saurait persister à travers ces consciences momentanées et discontinues ; ce serait comme un rayon de lumière qui apparaît et disparaît. S’il est vrai que mon existence m’est révélée par la conscience dans un moment défini, mon être n’est cependant pas limité à cet instant ; la réalité de ma vie consciente est quelque chose de plus qu’une série de consciences successives et séparées l’une de l’autre. Ce n’est pas l’existence en soi, vague et indéterminée ; c’est l’existence définie par les états mêmes de ma conscience. « Quand on dit je suis, cela signifie je suis ceci ou cela, je suis en tant que je pense être, en tant que je suis conscient, dans un mode défini, en tant que je sens, comprends, désire ou veux, »

Mais quelle est la garantie de ce principe ? Ce ne saurait être l’expérience individuelle, car un fait ne peut être le fondement d’une règle générale. Cependant le Cogito ergo sum est un fait individuel et défini ; comment peut-il être érigé en principe universel ? Grâce à l’intervention du principe d’identité, non pas conçu in abstracto et antérieurement à l’acte de la conscience, mais donné implicitement, sous une forme définie, dans cet acte même. « Mon être conscient est mon être pour le moment. Si j’essaye de penser mon être conscient sans penser aussi mon existence, je ne le puis. Et comme les deux choses sont identiques dans cet instant, ce serait une contradiction de supposer que je suis conscient sans être. » À vrai dire, et Descartes l’a vu clairement, le principe d’identité est incapable de produire un simple fait ou une nouvelle notion, Avant que le principe d’identité puisse être appliqué, il faut que quelque chose soit connu. Mais si la conscience ne nous