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BIBLIOGRAPHIE. — LÉOPOLD BRESSON. Idées modernes.

travail de M. Bresson est une mise au courant, qui tient compte des dernières découvertes et des idées les plus récentes. Nous ne pouvons nous proposer de les signaler ici par le détail.

Mais la partie sociologique — s’il faut adopter ce barbarisme auquel l’adhésion d’Herbert Spencer vaudra sans doute le triomphe — nous invite à quelques remarques que nos lecteurs nous permettront mieux sans doute.

Auguste Comte est désormais assez loin de nous pour que l’on puisse dire qu’il est, sans conteste, le plus grand penseur français de la première moitié de notre siècle, si l’on mesure, comme il est juste, la grandeur de la pensée à l’influence qu’elle exerce. Or, avant tout, l’objectif de Comte est la politique.

Un moment adepte de l’école saint-simonienne, il accolait déjà l’épithète de positive à la politique, avant de s’attaquer à la réforme de la philosophie et de jeter ainsi des fondements inébranlables pour la science qu’il rêvait de créer. Plus tard, sous l’empire de son idée fixe, il s’est persuadé de la prochaine réalisation de ses rêves, et il a construit une utopie grandiose et curieuse.

Il serait intéressant de savoir au reste si cette utopie a été, dans son esprit, le résultat d’une longue évolution, ou si elle n’a pas dominé toute sa carrière, analogue à celle de Platon, qui commençait par la République pour finir par les Lois. Mais les données que peuvent fournir les écrits de Comte ou les souvenirs de ses disciples personnels sont peut-être insuffisants pour trancher la question, quand il s’agit d’un homme aussi méditatif, aussi concentré qu’il l’était.

L’exemple de l’État de Platon prouve suffisamment qu’une utopie, pour irréalisable, qu’elle soit, n’en est cependant pas plus négligeable, si elle doit parvenir à exercer, fût-ce comme mirage, une action sérieuse sur l’humanité. Qu’en sera-t-il à cet égard de celle de Comte ? On ne peut encore le savoir ; il convient cependant de remarquer qu’elle a un grand désavantage au point de vue de la forme. Exposés avec le style de Jean-Jacques Rousseau, les paradoxes positivistes eussent déjà remué le monde.

Mais y a-t-il, en tout cas, au milieu de ces paradoxes, une œuvre certainement durable ? Il y a au moins une nouvelle façon de comprendre l’enseignement de l’histoire, façon qui s’imposera fatalement tout ou tard, et, sans discuter ici ce que l’on peut ou non considérer comme désormais acquis en sociologie, il y a cette idée que, dans l’éducation de la jeunesse, certains principes politiques et moraux doivent être enseignés au même titre que les éléments des sciences, et en dehors de toute thèse philosophique ; que, pour cet enseignement, il est nécessaire de changer le point de vue, trop dirigé par la tradition actuelle sur l’individu isolé ; qu’il faut considérer surtout les hommes comme ils vivent, c’est-à-dire en société ! Des réformes ont été commencées dans ce sens, et sous le puissant effet des œuvres d’Herbert Spencer, la brèche déjà ouverte s’agrandira forcément bientôt. Je me borne à constater que ce