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BERNARD PEREZ. — la logique de l’enfant

de neuf ans a appris de sa mère à modeler de petits objets avec de la terre glaise. Son frère âgé de sept ans, et pourtant peu adroit dans ce genre de travail, lui demande s’il ne saurait pas faire des assiettes, des plats, des casseroles, des gigots, des haricots, des gâteaux. C’est un gourmand décidé. « Tu saurais faire tout cela, puisque tu fais des bonshommes, qui sont, sans doute, plus difficiles à faire. » Un autre enfant, leur ami, âgé de six ans, dont le père est chasseur, et qui aime fort tout ce qui tient à la cynégétique, lui dit : « Non, je crois qu’un chien, un fusil, une gibecière sont plus difficiles à faire. Tu sais faire des hommes : je parie que ne saurais pas faire un chasseur. »

Les effusions de la gaieté, l’entrain de la plaisanterie, comme aussi les aiguillons du chagrin et du désespoir, excitent l’enfant à raisonner. Un enfant, âgé de sept ans, dit à son oncle « Maman m’a dit Si on frappe à la porte, n’ouvre pas ; je ne peux pas recevoir. » D’ailleurs, toi, mon oncle, qui es si sauvage, si on était entré, que serais-tu devenu ? Qu’aurais-tu fait ? Où te serais-tu caché ? » Toutes ces questions sont autant de raisonnements aussi vite faits qu’exprimés. Quand la tendance joyeuse est dans la nature de l’enfant, elle est pour lui et pour les autres une source inépuisable de raisonnements joyeux et optimistes. Le chagrin très vif, (et malheur à celui qui l’éprouve par nature ou par habitude forcée !) pousse aux raisonnements fâcheux, maussades, injustes, pessimistes. À tort ou à raison, un enfant de sept ans se croit sacrifié à son jeune frère, que les parents gâtent sans le savoir. L’aîné est pourtant une nature tendre et affectueuse. Il renverse par maladresse son potage très chaud sur le bras de son frère : ce dernier, a eu la fièvre, et a gardé le lit jusqu’à onze heures du matin. L’auteur involontaire du mal est laissé, par punition, dans une complète ignorance de l’état du malade. Sa mère, son père, les domestiques, passent à côté de lui, muets, et détournent la tête. L’enfant, désespéré, va se cacher au fond du jardin, sous une épaisse tonnelle, et là, il pleure comme pleure un enfant désolé. « Peut-être qu’il est mort, ou qu’il va mourir ! Je lui ai fait du mal sans le vouloir, moi qui l’aime tant, car il est si bon et si beau ! » Enfin, après une demi-heure d’angoisses, il entend un bruit de pas, et cherche à se dérober à la vue de la personne qui vient. C’était son jeune frère, que sa mère accompagnait, le bras en écharpe, mais le visage épanoui de plaisir. « Oh ! maman, s’écria l’aîné, vous me laissiez sans nouvelles de mon frère, et il n’était pas dangereusement malade ! Je pensais qu’il allait mourir, et je voulais mourir aussi. » Des baisers retentirent sur son front et sur ses joues, et ses larmes furent séchées en quelques secondes. Ces douloureuses