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scènes n’en laissent pas moins des traces durables sur le caractère et l’intelligence de l’enfant.

Cette poussée du sentiment au raisonnement et à l’action rend compte, en partie, de la mobilité de ses pensées et de ses caprices, elle explique sa continuelle diversité d’avec lui-même. À cinq ans et à sept ans, comme à deux et à trois ans, il raisonne et agit d’après les mobiles qui surgissent, tout autre suivant les cas et suivant les personnes ; par exemple, tendre et délicat avec sa mère, froid et stoïque avec son père, plus obéissant envers celui-ci, plus obséquieux envers celle-là. On dirait plusieurs caractères et plusieurs personnalités en un seul individu. Ce ne sont que divers états de la même personne. Le caractère, comme le tempérament, comme l’intelligence et la volonté, est un composé instable[1]. Aussi l’enfant, bien plus que l’adulte, paraît, tour à tour, bon et méchant, réservé et grossier, moral et pervers, bestial et raffiné, en un mot, réunit toutes les oppositions, tous les contrastes. Ce doit nous être une raison de plus d’être indulgents à ces petits êtres, qui, privés du contre-poids d’habitudes réglées de longue main et d’expériences organisées en jugements solides, sont les jouets de leurs vives impressions. Ils ont tant à faire pour s’élever jusqu’à nous ! Nous devons aussi tenir souvent pour suspecte notre prétendue connaissance de l’enfant. Quand nous croyons avoir deviné ses pensées, pénétré ses sentiments, compris ses raisons, nous les avons seulement jugés sur l’apparence, et surtout d’après notre propre manière de sentir, de penser et d’agir.

Un double exemple, pris sur le vif entre mille, va nous montrer combien il est difficile, je ne dis pas impossible, de bien apprécier le caractère, de bien comprendre les raisonnements de l’enfant. J’ai sous les yeux deux enfants, bien élevés, bien dressés, tous les deux intelligents, affectueux, mais de caractères bien différents. Ils aiment également faire plaisir à leurs parents, ils les craignent et les vénèrent également, malgré les apparences contraires. Mais l’un est l’expansion et la vivacité même : sur un ordre ou un désir exprimé, il court, il s’exécute. L’autre est plus lent, plus concentré, plus réfléchi : il ne se hâte jamais d’obéir. Cette lenteur à se décider paraît distraction ou mauvaise volonté. Mais elle a son bon côté. On dirait qu’il cherche, avant d’agir, à s’expliquer les raisons de l’ordre qu’on lui donne aussi l’oublie-t-il souvent, tout en délibérant. Au bout de

  1. Sur cette importante question des anomalies apparentes de la personnalité, voyez F. Paulhan, Les variations de la personnalité à l’état normal (Rev. phil. juin 1882), et Th. Ribot, Les conditions organiques de la personnalité (Rev. phil., décembre 1883).