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BERNARD PEREZ. — la logique de l’enfant

quelques secondes, il se lève, fait quelques pas, et dit : « Qu’est-ce que tu m’as dit de faire ? » On ne peut guère le corriger de ses défauts par les reproches : par exemple, à peine semoncé pour avoir mis les coudes sur la table ou s’être posé un pied sur l’autre, il recommence. Il est cependant adroit et attentif pour les choses qu’il aime à faire, surtout pour les choses de l’instruction. Sa lambinerie d’action et de décision pour certaines choses, son apparente indifférence lui donnent souvent l’air de ce qu’il n’est pas. Peu expansif pour ce qui le concerne, il a l’esprit très critique, et parle volontiers des autres, de ce qu’ils font et disent, surtout de ce qu’ils font ou disent mal. Mais son persifflage paraît quelquefois de bon aloi. Il est doué (l’honneur en revient doublement à son père) d’une aptitude, bien rare chez un enfant de son âge (il a neuf ans), à se rendre un compte exact, scientifique, par causalité vraie, des phénomènes qu’il observe. Les jugements ineptes des gens ignorants ont le don d’exciter son hilarité à un degré extraordinaire. La déraison le frappe autant que la raison tait impression sur lui. Son inattention apparente tient beaucoup, c’est l’opinion de son père et la mienne, à ce que son esprit suit toujours quelque idée et s’en laisse très difficilement distraire. Son plus jeune frère, lui, est tout à la conversation, il s’y complait et il y amuse. L’autre est peu à la conversation ordinaire quand un trait, par hasard, attire son attention, le début lui manque. Le plus jeune raisonne parfois trop vite, à ses risques et périls aussi pourrait-il paraître moins intelligent à un observateur superficiel. Quoique ayant deux ans de moins, il raisonne en réalité, sur beaucoup de choses, aussi bien que l’aîné un, gascon plein de feu, joyeux, malin rusé, devinant bien son monde, et sachant aussi bien dire ses raisons que découvrir celle des autres. L’autre, quelque peu alsacien (son père dit allemand), flairant peu les motifs cachés, agissant par saccades et sans mesure, sans simplicité, en un mot, un très bon esprit, mais fort compliqué dans ses opérations mentales et autres.

Malgré tant de différences importantes, ils ne raisonnent ni mieux ni plus mal l’un que l’autre dans les choses qui les intéressent directement et qui sont à leur portée. La seule différence, par exemple, que je remarque dans leurs lettres, quand ils traitent le même sujet, c’est un peu plus de sécheresse et de lourdeur chez l’aîné, car il a moins d’imagination littéraire que le second. Voici quelques échantillons de leur lettres, que je collectionne avec soin, vu qu’elle sont écrites en dehors de toute collaboration. Je prends au hasard : — A. « Il y a maintenant à B. une épidémie de variole volante ; je l’ai eue ; une dizaine d’enfants de ma classe l’ont eue. » C. « Je