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tion nette et précise, tandis que les autres ne font que passer sans laisser de traces durables ; les premiers pourraient être comparés aux sensations nettes et distinctes que donne la vision dans la région centrale de la tache jaune, les autres aux sensations indéterminées que fournit la périphérie de la rétine. Aussi arrive-t-il très souvent que, dans un processus psychique, composé d’une série d’actes cérébraux successifs, un certain nombre de chaînons intermédiaires vient à nous échapper… Il me paraît très probable que la plus grande partie des phénomènes qui se passent ainsi en nous se passent à notre insu, et ce qu’il y a d’important, c’est que ces sensations, ces idées, ces émotions auxquelles nous ne faisons aucune attention, peuvent cependant agir comme excitants sur d’autres centres cérébraux et devenir ainsi le point de départ ignoré de mouvements, d’idées, de déterminations dont nous avons conscience. » (2e édit., p. 1351.) Ces idées reçoivent une nouvelle confirmation de ce qu’on observe dans le somnambulisme provoqué, spécialement en ce qui concerne l’état de la volonté.

Ce qu’il y a de remarquable, c’est que, si l’acte suggéré est un peu étrange, un peu insolite, le sujet cherche des raisons pour faire ce qu’il fait et il en trouve. Dans certains cas cependant, quand l’acte suggéré a un caractère par trop singulier ou criminel, l’attention du sujet est éveillée et il s’étonne lui-même, non pas peut-être de l’idée (chacun sait quelles idées étranges traversent parfois notre cerveau), mais que cette idée soit acceptée par son intelligence et s’y implante avec le caractère d’une obsession ; il sent alors que sa volonté est impuissante ; il se rend compte qu’il ne peut faire autrement et que toute résistance de sa part est impossible. Il est alors comparable à l’aliéné qui, sous l’empire d’une idée fixe et d’une impulsion irrésistible, tue, vole ou incendie avec la plus complète irresponsabilité.

Toute spontanéité n’est cependant pas abolie dans le somnambulisme provoqué et je puis en citer quelques exemples. Mlle A… E… est endormie ; je m’approche et lui demande : Voulez-vous rêver ? — Cela m’est égal. — Que voulez-vous rêver ? — Ce que vous voudrez ? — Voulez-vous un excellent déjeuner ? — Non. — Je lui énumère ainsi plusieurs sortes de rêves que je lui propose. À tous même réponse négative. — Voulez-vous vous promener ? — Oui. — Où ? — Dans le jardin de Mme X… — Vous y êtes. Êtes-vous contente ? — Oui. — Qu’y faites-vous ? — Je me promène sur la terrasse. (Elle est assise, immobile), etc. Elle avait conservé assez de spontanéité pour faire un choix entre les propositions diverses qui lui étaient faites.

J’ai voulu essayer cette spontanéité d’une autre façon en donnant