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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/10

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des lois physico-chimiques qui la gouvernent. Mais ces deux actions exercées, l’une sur la matière du corps propre, l’autre sur la matière extérieure, ne sont pas différentes l’une de l’autre ; et si la première mérite le nom d’action organisatrice, il n’y a aucune raison pour refuser ce nom à la seconde qui lui est toute semblable, ou plutôt, qui se confond avec elle. Or une matière sur laquelle s’exerce la force organisatrice et vitale d’un vivant fait partie intégrante du corps de ce vivant d’où cette conséquence que le corps d’un vivant quelconque c’est l’univers lui-même, en tant que l’univers est ordonné par rapport à ce vivant, et de manière à lui rendre l’existence possible. Quant à ce que nous sommes habitués à considérer comme le corps propre de ce vivant, c’est simplement, en quelque sorte, le noyau et le point central à partir duquel le vrai corps, nous voulons dire le corps universel, va s’irradiant dans l’infinité de l’espace.

Du reste, il va sans dire que nous n’entendons nullement prétendre par là que la distinction qu’établit chaque homme, et certainement même chaque animal, entre son propre corps et les corps extérieurs, soit purement factice et sans aucun fondement. Cette distinction est au contraire légitime et nécessaire pour une multitude de raisons, celle-ci par exemple que c’est dans les limites du corps propre que s’exerce d’une manière immédiate ce par quoi nous nous connaissons, et nous nous opposons au reste de la nature, à savoir, notre pouvoir de sentir et de mouvoir. Surtout cette distinction apparaît comme bien fondée lorsque l’on considère que le corps d’un animal est organisé essentiellement par rapport à lui, tandis que le reste de la nature est organisé par rapport à lui sans doute, mais aussi par rapport à tous les autres animaux, et même par rapport à une infinité d’autres êtres encore.

Même avec cette restriction dont la légitimité apparaît suffisamment, il est probable que la thèse que nous soutenons ici sera traitée de paradoxale. Ce n’est pourtant pas qu’elle soit nouvelle, car on la retrouve dans Spinoza, dans Leibniz, dans Kant, et, d’une manière générale, dans tous les systèmes fortement pénétrés de l’unité fondamentale de la nature universelle. Mais ne parlons pas d’autorité. Si elle s’impose, à notre avis, c’est uniquement parce qu’elle est la seule conciliation possible entre deux vérités également certaines, le caractère absolu du déterminisme physico-chimique, et la nécessité où l’on est de faire appel, pour expliquer la constitution des êtres vivants, à des principes étrangers à ce même déterminisme. Elle est nécessaire à ce titre, et, si elle est nécessaire, il doit être permis de la tenir pour bien fondée.