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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/9

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ch. dunan. — le problème de la vie

autre ouvrage composé plus tard, et à une époque où sa pensée sur ce point avait évolué sans doute, Cl. Bernard parle autrement l’idée organique n’est plus pour lui une force, mais une loi morphologique. C’est une consigne que la nature répète indéfiniment, « et dont l’origine se perd dans un inaccessible lointain, au sein de la cause première, de même que la matière brute et ses lois constitutives[1] ». La pensée de l’auteur est exprimée, à coup sûr, plus correctement sous cette dernière forme que sous la précédente ; mais la difficulté que nous signalons demeure exactement la même car on ne comprend pas comment une loi pourrait, mieux qu’une force, imprimer aux phénomènes une forme que leur nature primitive ne comportait pas, et cela, sans porter atteinte en aucune manière au déterminisme qui les régit. La doctrine de CI. Bernard sur ce point paraît donc insuffisante. Toutefois, l’éminent physiologiste la complète de la manière la plus heureuse lorsqu’il écrit, par exemple, ceci : « Pour nous, la vie résulte d’un conflit, d’une relation étroite et harmonique entre les conditions extérieures et la constitution préalable de l’organisme. Ce n’est point par une lutte contre les conditions cosmiques que l’organisme se développe et se maintient ; c’est tout au contraire par une adaptation, un accord avec celui-ci… L’être vivant fait partie du concert universel des choses, et la vie de l’animal, par exemple, n’est qu’un fragment de la vie totale de l’univers[2]. » Voilà évidemment la vérité, et l’on peut regretter seulement que Cl. Bernard n’ait pas insisté davantage sur cette idée, et ne l’ait exprimée qu’en passant, comme si lui-même n’y attachait qu’une médiocre importance. Il y a un moyen, mais un seul, d’expliquer la vie sans sacrifier ni le déterminisme absolu des lois physicochimiques, ni la réalité du principe d’organisation, c’est d’admettre que, si un élément venu du dehors et entrant dans un corps vivant, s’adapte aux lois morphologiques par lesquelles ce corps subsiste, c’est qu’avant d’y entrer il y était adapté déjà, et que l’existence d’un être organisé quelconque implique une adaptation de la matière cosmique universelle aux conditions d’existence de cet être. Mais comment comprendre une adaptation de ce genre ? D’où vient-elle ? À qui l’attribuer ? Évidemment, ce ne peut être qu’à cet être lui-même, au principe d’organisation qui est en lui. En même temps donc qu’il organise le propre corps du vivant, ce principe, quel qu’il soit d’ailleurs, doit ordonner au profit de ce même vivant la matière totale, de telle sorte que ce vivant puisse se mouvoir, se nourrir, subsister en un mot, au sein de cette matière, sans rupture aucune

  1. Leçons sur les phénomènes de la vie, t.  I, p. 337.
  2. T. I. p. 67.