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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/238

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I

Il me semble que la question peut encore se poser à peu près dans les termes où je l’avais formulée devant l’une des classes de l’Institut ; je résume ainsi, sauf à y ajouter ensuite les développements nécessaires, les conclusions auxquelles j’étais arrivé, à la suite de ce qu’on a appelé du nom pittoresque de crimes expérimentaux.

Toute personne mise en somnambulisme profond devient, entre les mains de l’expérimentateur, un pur automate, tant sous le rapport moral que sous le rapport physique. Elle ne voit que ce que celui-ci veut qu’elle voie, ne sent que ce qu’il lui dit de sentir, ne croit que ce qu’il veut lui faire croire, ne fait que ce qu’il lui dit de faire. Une volonté étrangère a comme chassé de son cerveau sa volonté propre ; tout au moins elle détermine elle-même les limites de son empire, ne laissant à la pauvre expulsée que les parties du gouvernement qu’elle dédaigne ou rejette.

Cet automatisme somnambulique constitue, pour tous ceux qui en sont susceptibles, un danger très sérieux ; ils peuvent, dans certaines circonstances données, être rendus auteurs inconscients d’actes délictueux ou criminels, qui leur auraient été suggérés. En pareil cas, l’auteur du fait matériel doit être considéré comme irresponsable et son acquittement s’impose à la conscience du juge. Seul, l’auteur de la suggestion doit être recherché et puni.

On peut produire par suggestion une insensibilité et une inconscience telles que certaines femmes pourraient être violées sans le savoir, et sans en conserver aucun souvenir[1]. D’autres pourraient accoucher dans les mêmes conditions, ce qui faciliterait, de la part des tiers, l’accomplissement des crimes de suppression d’enfant, de substitution d’un enfant à un autre, etc.

La thèse que je m’efforçais de faire prévaloir n’était, en somme, en dehors du résultat de mes expériences personnelles, que le développement des principes posés, dès 1866, par M. le docteur Liébeault

« Dans l’inertie d’attention où ils (les somnambules) sont arrivés, ils ne peuvent se défendre d’accepter les idées que celui-ci (l’endormeur) leur impose ; ils tombent en son pouvoir, ils deviennent son jouet : illusions, hallucinations, croyances fausses, perte du sens moral, impossibilité de résister aux suggestions vers le vice, mise à

  1. Je dirais aujourd’hui : aucun souvenir conscient. Il est telles circonstances dans lesquelles nous pourrions, au contraire, faire revivre un souvenir inconscient.