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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/239

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j. liégeois. — hypnotisme et criminalité

exécution des projets les plus dangereux pour soi ou pour les autres, etc., l’endormeur peut tout développer dans l’esprit des somnambules, et le leur faire mettre à exécution, non seulement dans leur état de sommeil, mais encore après qu’ils en sont sortis[1]. »

On entrevoit assez, sans que j’aie besoin d’y insister, la portée et la gravité de la question. Cette portée et cette gravité sont telles qu’elles ont troublé et inquiété beaucoup de bons esprits et fortement ému l’opinion publique. Bien des personnes à l’appréciation desquelles j’attache un grand prix, m’ont reproché ce qu’elles considèrent comme des spéculations téméraires, aventureuses, dangereuses même pour l’ordre social.

C’est là une manière de voir que je ne saurais partager. Outre que mes idées ont été le plus souvent mal comprises ou mal expliquées, il ne s’agit pas, ce me semble, de savoir si une vérité est commode ou gênante, mais simplement de vérifier si elle est une vérité. Favorable ou fâcheuse, il faut qu’on s’arrange pour vivre avec elle, et vraiment, c’est être un homme de peu de foi, c’est avoir bien peu de confiance dans la raison et la sagesse humaine que de proclamer qu’il est des vérités qui ne sont pas bonnes à dire. C’est le contraire qui est vrai, si, comme l’a dit Malebranche : « l’ignorance est la source de tous nos maux. » L’Écriture n’a-t-elle pas dit aussi : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et le reste vous sera donné par surcroît. » Cherchons donc, en tout, partout et toujours, la vérité et la justice.

Je vais exposer aux lecteurs de la Revue comment je conçois la théorie des suggestions criminelles. Pour les détails du sujet, ils me permettront, je l’espère, de me référer soit à mon Mémoire de 1884[2], soit à l’ouvrage dans lequel j’ai abordé avec plus de développements les questions relatives au somnambulisme provoqué et à la suggestion[3].

II

Disons d’abord, afin de rectifier une erreur, qui est entrée pour beaucoup dans l’exagération des inquiétudes dont je parlais tout à l’heure, que les suggestions criminelles irrésistibles ne peuvent être

  1. « Il va sans dire que ceci ne s’applique qu’à de très bons somnambules ; mais, pour ceux-là, je n’ai aucun doute. » (Liébeault.)
  2. De la suggestion hypnotique, dans ses rapports avec le droit civil et le droit criminel, Mémoire lu à l’Académie des sciences morales et politiques, br. in-8o, 1884 ; A. Picard, éditeur.
  3. De la suggestion et du somnambulisme, dans leurs rapports avec la jurisprudence et la médecine légale ; 1 vol.  in-18, Paris, 1889 ; Oct. Doin, éditeur.