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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/29

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ch. dunan. — le problème de la vie

Mais c’est surtout l’existence des individus eux-mêmes qui est difficile à comprendre dans la doctrine de la finalité. Pourquoi, en effet, le principe de la finalité une fois admis, les mouvements élémentaires dont la matière est animée formeraient-ils une multitude de systèmes coordonnés entre eux, plutôt qu’un système unique et embrassant tout ? Dira-t-on que ce système unique n’offrirait à la pensée aucun objet sur lequel elle pût s’exercer, et que par suite, il demeurerait totalement inintelligible ? Mais de quelle pensée parle-t-on ? Si c’est de la nôtre, on a raison assurément, car il est sûr que, dans cette dispersion à l’infini, au sein de laquelle aucune synthèse partielle ne serait possible, notre pensée finie ne saurait où se prendre. Mais l’essentiel n’est pas peut-être que l’univers soit intelligible pour nous ; l’essentiel est qu’il soit intelligible en lui-même. Or il le serait ; car, obéissant à la loi du mécanisme, il répondrait aux conditions abstraites de l’exercice de la pensée ; et, ramenant à l’unité d’un système la multiplicité de ses éléments que le mécanisme laissait diffuse, il pourrait, comme l’a bien montré M. Lachelier, fournir à la pensée un contenu positif. Ainsi l’existence d’un système unique et total, dans le sein duquel il n’y aurait aucun système particulier, est possible. On serait peut-être en droit d’aller plus loin, et de dire qu’il est nécessaire, qu’il est le terme inévitable auquel aboutit la doctrine de la finalité. En effet, du moment où l’on suppose que, dans la nature, l’apparition d’un seul être dépend d’un concours d’éléments coordonnés entre eux en vue de la production de cet être, il faut admettre qu’en vertu de la connexion universelle, cette coordination s’étend à la totalité des éléments de la matière à travers l’infinité du temps et de l’espace, et que son action se superposant à la loi du mécanisme, il en résulte pour tous les éléments en question, lesquels sont des mouvements, une détermination définitive et totale de leurs directions et de leurs vitesses ; de sorte que, par cette coordination des éléments, on n’obtiendra qu’un résultat unique, et encore sera-ce un résultat donné une fois pour toutes, soustrait par conséquent à la loi du devenir, mais non pas mobile, et toujours en voie d’évolution, comme le sont les êtres organisés.

Mais il y aurait peut-être lieu d’insister sur ce dernier point avec un peu plus de détails. Considérons d’abord une série unilinéaire de phénomènes A, B, C, D, se déroulant successivement dans le temps, et se déterminant les uns les autres suivant la loi des causes efficientes. Que ces phénomènes soient soumis à la loi des causes finales en même temps qu’à celle des causes efficientes, et que A n’existe qu’en vue de la production de B, B en vue de celle de C et ainsi de suite, on ne voit pas qu’il puisse y avoir à cela de difficultés.