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supérieurs de la société par l’examen des conditions vitales auxquelles les hommes sont soumis en raison de leur constitution physiologique et psychologique. Ils ont développé l’aphorisme d’Aristote : ανθρωπος ζωον πολιτιϰον, et ont montré que les conditions de fait dans lesquelles se développe la vie humaine, font de la société une loi supérieure et nécessaire contre laquelle aucun individu ne peut ni ne doit tenter de s’insurger. Les représentants du dogmatisme social a posteriori ou naturaliste, sont également fort nombreux dans l’histoire de la pensée, depuis Aristote jusqu’aux modernes théoriciens de la société-organisme, aux théoriciens coopératistes ou solidaristes, et aux défenseurs de la philosophie sociale grégaire.

Le Dogmatisme social, sous ces deux formes, semble répondre à une des exigences du Vouloir-Vivre social. En effet, tout groupe social organisé semble éprouver un besoin instinctif de se légitimer aux yeux des individus qui le composent. Il ne se contente pas d’imposer par la force sa discipline sociale ; il veut qu’on croie à la légitimité de cette discipline, qu’on la regarde comme juste et rationnelle. À l’origine, c’est à la Religion qu’on demande la consécration de la discipline sociale ; plus tard on s’adresse aux philosophes qui manquent rarement de formules commodes pour rationaliser la Force. Ils sont généralement de l’avis de Hegel pour qui « ce qui est réel est rationnel ». Remarquons que dans le Dogmatisme social a priori, on s’applique surtout à justifier l’État qu’on représente comme l’incarnation d’une idée rationnelle. « Der Staat ist eine geäusserte, der Realität eingebildete Idee eines Volkes[1]. »

Dans le Dogmatisme social a posteriori, on s’attache à justifier le mécanisme social dans son ensemble, c’est-à-dire dans la complexité des disciplines sociales qu’il impose à l’individu.

Examinons d’abord le Dogmatisme social a priori.

En abordant cette forme de pensée, nous trouvons qu’elle comporte elle-même une distinction. Nous y distinguerons un rationalisme transcendant qui place dans le ciel métaphysique de l’Immuable le principe qui confère aux sociétés leur réalité, et un rationalisme de l’Immanence, qui place ce principe dans le Monde du Fieri. Des deux côtés d’ailleurs, on procède a priori ; car des deux côtés on subordonne les faits à l’Idée, le Réel au Logique.

La forme la plus ancienne du Dogmatisme social transcendant se rencontre chez Platon. Pour ce philosophe, l’État a un droit absolu

  1. Lazarus et Steinthal, Jahrschrift für Volkerpsychologie, p. 10.