Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 53.djvu/34

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quelque chose qui dépasse le donné, qui est transcendant par rapport à l’expérience passée, et même par rapport à toute expérience future, et qui ne s’explique que par une certaine dose de liberté créatrice, de choix, de décision volontaire et spontanée dans l’esprit qui les énonce. Les notions qu’apportent ces principes ne sont plus purement et simplement des résidus d’une observation passée, pas plus que des éléments d’expérience devinés et supposés vérifiables ; chacune est plutôt une sorte d’idéal par lequel l’esprit juge convenable de s’élancer spontanément au delà des faits pour les mieux interpréter désormais. La justification logique pas plus que l’observation ne suffisent à en rendre raison. Certes elles interviennent l’une et l’autre dans les motifs qui guident le savant et l’incitent à poser ces notions car, d’une part, celles-ci doivent aider à traduire l’expérience, et d’autre part elles doivent s’adapter chacune, à la trame des idées antérieurement posées ; mais ces conditions ne sauraient les déterminer au point qu’elles s’imposent avec une nécessité inéluctable. Ce sont, pour la mise en œuvre de l’esprit, des raisons qui ont leur valeur ce ne sont pas des données devant lesquelles il n’y ait place qu’à la soumission.

Elles ne sont pas complètement vérifiables. Cela est évident dès les premiers principes de la géométrie, et il est inutile désormais d’insister sur ce qu’il a pu y avoir de chimérique dans l’espoir de justifier l’exactitude de ceux-ci par quelque expérience directe. A plus forte raison ce recours décisif à l’expérience fait-il défaut quand se mêlent et s’enchevêtrent toutes les notions fondamentales de la géométrie, de la mécanique, de l’astronomie, de la physique, et quand s’étend démesurément le champ de la science rationnelle. C’est, comme on l’a dit bien souvent, tout un système complexe de principes, de postulats, de définitions, qui se trouve mis à l’épreuve des faits ; et si ce système se corrige et se perfectionne sans cesse de façon à assurer une prévision de plus en plus rigoureuse, jamais du moins il n’arrive ni que la réalité des notions théoriques soit enfin montrée dans les choses, ni par conséquent que notre raison cesse de sentir qu’elle dirige elle-même cette marche continue. Ses décisions ne sont pas d’ailleurs seulement transcendantes par rapport l’expérience ; elles le sont aussi par rapport à la logique, en ce sens qu’elles posent, avec les principes et les définitions, des synthèses qu’il serait impossible d’éclaircir complètement par le sens de chacun des éléments qui les forment. Tel postulat doit être admis d’abord pour que même puisse se poser ensuite la question de savoir s’il a un sens telle est cette affirmation fondamentale que le mouvement de la terre est uniforme, sans laquelle l’uniformité