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d’un mouvement, avec la notion qu’elle implique des durées égales, n’a pas de signification précise ; tels sont en général tous les principes, comme ceux de la géométrie ou de la dynamique, qui apportent avec eux la définition même des éléments qu’ils unissent. Ces réflexions se confirment à mesure que s’élève l’échafaudage de la science théorique. Nous avons de plus en plus conscience que si nous dépassons l’expérience et la logique, c’est par des décisions raisonnables plus que par soumission à une réalité qui s’impose. Nous sentons en d’autres termes que, pour mieux exprimer et prévoir les faits, l’esprit reste au-dessus d’eux une source originale de créations spontanées. Et c’est bien d’une activité toute pleine que l’esprit donne ici les preuves. Si ses affirmations ne sont pas déterminées par des nécessités extérieures ou internes, elles sont les résultats conscients et réfléchis de toute une -vie de l’âme qui les Justine par le pressentiment qu’elle crée de leur fécondité. C’est pourquoi les comprendre, ce n’est pas seulement apprendre, comme à l’aide d’un dictionnaire, la signification de chacun des mots formulés, et saisir en une vue rapide leurs rapports aux faits, c’est bien plutôt en arriver, par une culture prolongée, à les vivre en quelque sorte, et à prendre ainsi pleine conscience de leur légitimité. Dira-t-on que pour échapper à la passivité de l’esprit, et dépasser ainsi l’état positif, nous amenons la science soit au scepticisme, soit au mysticisme ? Qu’on se rassure. Il nous paraît au contraire que nous nous plaçons dans les meilleures conditions pour combattre l’un et l’autre.

Le scepticisme d’abord. Si en proclamant une vérité l’esprit a le sentiment qu’il prend une décision plutôt qu’il ne s’incline devant une réalité qui s’impose, n’est-ce pas la notion même de vérité qui s’écroule désormais ? D’une part, en effet, il semble que l’arbitraire, le caprice s’introduise ainsi dans la science ; et il semble d’autre part que celle-ci risque de devenir trop personnelle et de perdre, avec la nécessité, son universalité.

Arbitraire, capricieux, l’élan de l’esprit qui, dépassant le donné, construit une idée nouvelle pour faciliter son œuvre scientifique ? Mais pourquoi donc ? N’y a-t-il donc pas de milieu entre ces deux extrêmes Subir passivement le donné ou tomber dans la chimère

? Quand, à propos des actions de nos semblables, nous refusons 

de les croire automatiquement et rigoureusement déterminées, au point que toute appréciation morale perdrait son sens, et que l’idée de responsabilité personnelle disparaîtrait tout entière, déclaronsnous aussitôt que ces actes sont complètement indéterminés, sans raison, sans lien explicable avec aucun antécédent ? Bien au con-