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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 57.djvu/163

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des bases solides, d’exposer la doctrine de Nietzsche, sur laquelle nous nous appuierons.

Nietzsche eut la première idée du Retour, au mois d’août 1881, à Sils Maria. On la trouve formulée pour la première fois dans un de ses ouvrages, en septembre 1882 dans la Gaie Science (ou Gai Savoir, selon les traducteurs). Mais ce premier exposé est très bref et très incomplet, c’est surtout dans le Zarathoustra, et dans la quatrième partie de la Volonté de Puissance, que se trouve expliquée la grande Idée.

Dans le Zarathoustra, elle est exprimée avec une grande fougue lyrique, dans la Volonté de Puissance, elle est plus scientifiquement exposée ; comme nous voulons faire un travail purement scientifique, nous nous appuierons surtout sur la Volonté de Puissance.

Nous allons donc citer différents passages du philosophe allemand :

« Si le monde avait un but, il faudrait que ce but fût atteint ; s’il existait pour lui une condition finale, il faudrait que cette condition finale fût atteinte également »[1], et à l’appui de cette thèse, Nietzsche dit, fort justement à notre point de vue, que s’il ne peut empêcher la pensée de retourner le plus loin possible dans le passé, que la logique même oblige d’avouer qu’il n’y a pas de fin à ce « regressus in infinitum », et qu’il n’y a pas de finalité ni dans le passé, ni dans l’avenir, et que pour cela le monde qui existe n’est pas quelque chose qui devient, quelque chose qui passe. Ou plus exactement il devient et il passe, mais il n’a jamais cessé de devenir, de passer, il vit sur lui-même.

Nous voyons ainsi que Nietzsche admet l’éternité de la matière ; jusque-là rien de très personnel dans sa conception. Mais nous arrivons au grand concept du Retour Éternel, à celui qui pourra demander appui à la science : « Le monde est un monstre de force, sans commencement et sans fin ; une quantité de force d’airain, qui ne devient ni plus grande, ni plus petite, qui ne consomme pas mais utilise seulement, immuable, dans son ensemble, une maison sans dépenses, ni pertes, mais aussi sans revenus, et sans accroissement, entourée du néant comme d’une frontière. Ce monde n’est pas quelque chose de vague et qui se gaspille, rien qui soit d’une étendue infinie, mais étant une force déterminée il est inséré dans un espace qui serait vide quelque part. Force partout, il est jeu des forces et ondes des forces, à la fois un et multiple, s’accumulant ici tandis qu’il se réduit là-bas, une mer de forces agitées dont il est la propre tempête se transformant éternellement dans un éternel va-et-

  1. Nietzsche, la Volonté de puissance, t. II, p. 181 de la traduction française.