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observations et discussions

Clausius. Puisqu’il y a continuellement, disait-il, une dispersion de l’énergie physique, il faut qu’il y ait eu un état primitif qui ne peut avoir pris naissance d’une manière naturelle. Si le monde avait un passé infini, il serait déjà arrivé à l’équilibre universel de température qui est la mort universelle. Un tel raisonnement est digne de prendre place à côté de celui de Renouvier, qui prouvait son Premier commencement absolu par cette raison qu’une infinité sans nombre d’états a parte post implique un nombre infini contradictoire.

Nietzsche triompherait peut-être ici en disant : « Vous voyez bien qu’il faut admettre un éternel retour, périodique, car, sans cela, tout serait déjà en équilibre et l’heure du De profundis aurait sonné pour l’univers. » Mais nous répondrons qu’il y a encore deux autres hypothèses pour échapper au lugubre arrêt de Carnot et de Clausius. La première c’est que la nature a pu réaliser une infinité d’états qui ne rentrent pas dans les formules de notre science incomplète et qu’elle a pu, en conséquence, trouver des applications de l’énergie, qu’il nous est encore impossible de nous représenter. Maxwell lui-même a dit : « De l’énergie dispersée signifie de l’énergie pour laquelle, nous hommes, nous ne concevons pas d’application ». La nature est sans doute plus habile que nous.

La seconde hypothèse est que, si nous marchons vers l’universel équilibre, nous n’y marchons qu’asymptotiquement. On peut supposer que, à mesure que l’équilibre et l’indifférenciation approchent, les êtres deviennent plus sensibles à des différences moins grandes, si bien que la différenciation psychique subsiste ou même s’accroît dans le voyage du monde matériel vers une moindre différenciation.

On a mainte fois supposé le monde réduit aux dimensions d’une coque de noix et on a facilement prouvé que, toutes les dimensions relatives restant les mêmes, nous ne pourrions nous apercevoir du changement. De même, dans un monde de plus en plus voisin de l’équilibre mécanique, thermique ou autre, on peut concevoir des rapports d’oscillations de plus en plus petites, dans l’intervalle desquelles peuvent se glisser une infinité de différences réelles et une infinité de différences senties.

D’ailleurs, savons-nous si l’équilibre de la température, par exemple, entraîne certainement l’équilibre de tout le reste, surtout de la vie psychique ? La vie biologique elle-même peut avoir des conditions ultimes que nous ignorons et qui sont autres que les conditions purement thermiques. Toute spéculation sur la vie, et surtout sur la vie mentale, dépasse le domaine de la mécanique, de la physique et de la chimie telles que nous les connaissons et pouvons les connaître, c’est-à-dire les limites de notre physique, de notre chimie et même de notre mécanique.

Non seulement il y a, comme dit Shakespeare, plus de choses sous le