Page:Ricardo - Œuvres complètes, Collection des principaux économistes,13.djvu/277

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quand une denrée est à un prix de monopole, elle a atteint le plus haut prix auquel le consommateur puisse consentir à l’acheter. Les denrées n’atteignent ce prix de monopole que lorsqu’il est impossible d’imaginer aucun moyen d’en augmenter la quantité, et lorsque, par conséquent, il n’y a de concurrence que d’un seul côté, c’est-à-dire, parmi les acheteurs. Le prix de monopole peut, à une époque, être beaucoup plus haut ou plus bas qu’à une autre, parce que la concurrence entre les acheteurs doit dépendre de leur fortune et de

    prunter un peu moins, parce qu’on épargne du moins alors les frais de l’opération. Je regarde néanmoins comme important de voir l’opinion d’un homme aussi capable que M. Ricardo, et qui connaît aussi bien la nature des fonds publics en général, et des fonds anglais en particulier, confirmer entièrement la doctrine du savant académicien d’Edimbourg ; je regarde comme important de voir M. Ricardo nous annoncer que si, au moment d’une nouvelle guerre, le Gouvernement britannique n’a pas remboursé une portion considérable de la dette (ce qui ne s’achemine pas, puisque durant la paix il l’augmente chaque année) ; ou bien s’il ne trouve pas le moyen de faire payer chaque année à la nation la dépense extraordinaire que cette guerre occasionnera (ce qui n’est point possible, puisqu’on a de la peine à trouver de nouveaux impôts pour payer seulement l’intérêt de ces frais extraordinaires) ; de le voir, dis-je, nous annoncer que, sauf ces deux suppositions, qui sont inadmissibles, la banqueroute est inévitable.

    Smith avait dit que les caisses d’amortissement semblaient avoir eu pour objet moins de rembourser la dette que de l’accroître. Mais Hamilton et Ricardo ont creusé ce sujet jusqu’au fond, et y ont fait pénétrer une lumière à laquelle désormais aucune fallacieuse doctrine né saurait résister. M. Ricardo, avec une sagacité admirable, réduit ici l’a question à ses termes essentiels. Contracter une dette, c’est se charger d’un fardeau dont la banqueroute elle-même ne saurait vous libérer, puisque son effet ne serait pas d’augmenter les revenus des particuliers de tout ce que l’impôt lèverait de moins ; mais seulement d’augmenter les revenus des contribuables (qui ne paieraient plus cette portion de l’impôt) aux dépens des rentiers (qui ne la recevraient plus). Et quel est l’effet de ce fardeau inévitable ? de rendre plus dure la condition des habitants du pays, de les exciter à secouer cette importune charge sur les épaules de leurs concitoyens en s’éloignant, en se soustrayant par l’émigration aux privations, aux gênes, aux frais qui résultent de la dilapidation antérieure d’un grand capital. Il prouve que le remède à ce mal ne peut venir que de la restitution de ce capital ; mais pour restituer un capital, il faut l’accumuler lentement en dépensant chaque année moins qu’on ne reçoit. Or, tout homme de bon sens se demande de qui l’on peut attendre cette sage conduite : sera-ce d’un gouvernement intéressé à dépenser, à multiplier le nombre de ses salariés pour multiplier ses créatures ? sera-ce de ces salariés eux-mêmes intéressés à conserver leurs places et leur faveur aux dépens des contribuables ? ou bien sera-ce d’une représentation nationale forte et indépendante, intéressée à ménager la bourse du peuple, qui est la sienne ? — J.-B. Say.