Je m’estimerai d’autant plus heureux de le satisfaire, que les mêmes doutes sont nés dans l’esprit d’un homme qui me tient de près par le sang et par l’amitié, et qui les a consignés dans un écrit publié récemment* ; la même réponse servira pour tous deux, non sans quelque avantage peut-être pour les progrès de la science.
Pour se former une idée juste des choses, je pense qu’il faut se représenter la nature entière, les capitaux accumulés par l’homme, et les facultés industrielles de l’homme, comme le grand fonds où se forment, et duquel naissent toutes les utilités, toutes les richesses naturelles et sociales qui servent à satisfaire plus ou moins complètement à tous les besoins, à tous les goûts des hommes.
Les portions de ce fonds qui n’ont pas besoin d’être sollicitées, le soleil, par exemple, qui nous fournit une lumière et une chaleur si nécessaires au développement des être organisés, sont des fonds productifs appartenant à chacun de nous, d’une valeur infinie, pour ce qui est de l’utilité qu’on en tire, puisque cette utilité est infinie, inépuisable.
D’autres fonds, tels, par exemple, qu’un capital productif, n’appartiennent pas à tout le monde. Ils ne peuvent faire leur office que parce qu’ils sont des propriétés : l’Économie politique en assigne les motifs. Leur valeur peut être assimilée à la valeur des fonds naturels, en ce qu’elle est proportionnée à la quantité d’utilité qui peut en naître. Ainsi un fonds capital, territorial et industriel, duquel sont sortis cinquante boisseaux de froment, vaudrait dix fois autant relativement à cette espèce de produit, si, dans un espace de temps pareil, par un perfectionnement quelconque, on parvenait à en tirer cinq cents.
Il reste à connaître quels sont ceux qui profitent de cette augmentation, ceux qui sont plus riches, non seulement en richesses naturelles, mais en richesses sociales, en valeurs échangeables, de tout cet accroissement d’utilité produite.
Si, par des causes dont la discussion est étrangère à l’objet de notre spéculation présente, là valeur, échangeable de chaque boisseau de blé se soutient malgré l’augmentation survenue dans la quantité de blé produite, alors l’augmentation de richesse produite est entièrement au profit des producteurs, c’est-à-dire des propriétaires du fonds capital, du fonds territorial, et du fonds industriel, dont il est sorti cinq cents boisseaux au lieu de cinquante. Le revenu provenant de ces portions de fonds a décuplé.
Si, comme il arrive plus fréquemment, la valeur échangeable de chaque boisseau de blé a baissé en raison de la plus grande quantité qui en a été produite, Je profit obtenu est bien toujours dans la proportion de cinq cents à cinquante ; mais ce profit est fait par la classe des consommateurs, lesquels sont aussi riches de ce qu’ils paient de moins que les producteurs l’auraient été de ce qu’ils auraient vendu de plus. Leur revenu n’a pas décuplé, parce qu’ils ne l’emploient pas tout entier en froment ; mais la portion de revenu qu’ils avaient coutume d’employer en froment a décuplé, et toutes ces portions de revenu ainsi décuplées se monteraient, si elles étaient réunies, à une somme égale à la valeur décuplée du produit, en supposant qu’il n’eût pas baissé de prix. Dans les deux cas, la société à donc joui d’une augmentation de valeurs comme d’une augmentation d’utilité. J.-B. Say.
- **. Principales causes de la richesse des peuples et des particuliers, par Louis Say, négociant de Nantes, brochure de 178 pages. Paris, Déterville.