Page:Ricardo - Œuvres complètes, Collection des principaux économistes,13.djvu/319

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capitaux d’un grand nombre de riches commerçants sont versés dans la même branche de commerce, leur concurrence mutuelle

    faire que, par la solidarité qui relie les membres de la famille humaine, les souffrances ou les joies des uns ne retentissent, tôt ou tard dans l’âme de tous. Chacune de ces grandes années de crise, qui ont ébranlé les sociétés anglaise, américaine, française, et ont jeté sur la place publique, dans le forum ardent et courroucé, les masses sans travail que vomissaient les manufactures ; chacune de ces années aurait dû enseigner à l’austère économiste que les ouvriers sont la base de l’édifice industriel, et que lorsque la base d’un édifice s’ébranle le faîte est bien près de s’écouler, en d’autres termes, que la ruine frappe en même temps en haut et en bas. D’un autre côté, chacune de ces années radieuses, où l’on vit les débouchés s’agrandir, les capitaux affluer dans toutes les industries pour les vivifier, le travail rouvrir, comme une formule magique, les portes muettes des ateliers, l’abondance secouer de toutes parts sur le monde ses merveilles et ses richesses, chacune de ces années, dis-je, aurait dû lui prouver que si les mauvais jours pèsent sur les chefs et sur les ouvriers, les jours de prospérité ont des récompenses pour tous, sous forme de hauts salaires pour les uns, et de riches inventaires pour les autres. Je ne puis croire que Ricardo se soit tenu assez loin des événements pour n’en pas suivre la marche, et n’en pas comprendre les enseignements, et les événements eussent été pour lui un espoir, et non une sorte d’anathème, si, à mon humble avis, du moins, l’arme du raisonnement et de l’observation ne s’était faussée entre ses mains. Je ne vois pas d’autre moyen d’expliquer comment, toutes les fois qu’il indique une hostilité profonde dans les rangs des travailleurs, les faits répondent au contraire par une union qui n’a rien certainement de la tendre affection que nous promet Fourier entre pages et pagesses, mais qui repose sur l’intérêt individuel, garanti par l’intérêt social, — du moins autant que le permettent toutes les charges qui sous le nom d’octrois, de douanes, d’impôts exagères, de dettes publiques grèvent le producteur et altèrent les contrats économiques.

    Au spectacle du développement merveilleux de l’industrie, des progrès inespérés de la mécanique qui, d’un côté, abaissent chaque jour la valeur courante des marchandises, et de l’autre, provoquent l’accroissement des salaires par l’immensité de la tâche qu’il s’agit d’accomplir et par la demande de travailleurs : au spectacle de cette double impulsion, ascendante pour le prix du travail, descendante pour le prix des produits, le savant auteur des Principes d’Économie Politique n’a pas senti que, loin d’être pour le manufacturier une cause de ruine, l’avilissement graduel de ses marchandises était la base la plus sûre de sa prospérité. Dans le fait, et par une aberration étrange pour un aussi grand esprit, — aberration devant laquelle le respect a même fait longtemps hésiter notre main, — Ricardo a confondu une diminution dans la valeur des produits avec une diminution des profits. Il a vu que, par la concurrence des producteurs, les inventions se succédent chaque jour dans le champ industriel, que les forces mécaniques se retrempent au contact de la science : il a vu que le génie de l’homme, entassant ainsi les produits, luttait de prodigalité avec la nature elle-même, et tendait à faire des richesses sociales un fonds où les plus humbles vinssent puiser