Page:Ricardo - Œuvres complètes, Collection des principaux économistes,13.djvu/320

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tend naturellement à en faire baisser les profits ; et quand les capitaux se sont pareillement grossis dans tous les différents commerces

    à peu de frais ; et cet admirable travail d’égalité, ce nivellement du bien-être, il a cru qu’on ne pouvait l’accomplir qu’en retranchant des profits du manufacturier ce que l’on accordait, par l’abaissement du prix, au consommateur, par la hausse des salaires, aux classes laborieuses. Il n’a pas vu que c’est précisément dans la salutaire action de ce double phénomène que reposent l’avenir de l’industrie et sa prospérité : car c’est ce double phénomène qui appelle la masse à consommer les produits créés, et qui, par conséquent, fait des besoins de tous un étai pour le travail de fous. Dire que parce qu’un fabricant fait à ses ouvriers une part plus large dans la répartition de la fortune publique il diminue d’autant son revenu et ses profits, c’est dire à la fois une chose fausse et une chose décourageante : — décourageante, parce que, ou l’on introduirait la lutte et la haine dans les rangs des travailleurs, ou l’on condamnerait l’ouvrier à un ilotisme barbare et à des salaires minimes, ou l’on convierait le manufacturier à une générosité impossible ; — fausse ; en ce que plus une marchandise diminue de valeur, plus elle appelle la consommation, et plus elle appelle la consommation plus les bénéfices du fabricant se grossissent. Ne nions pas, ne refusons pas, surtout, par amour pour les abstractions, ce miracle perpétuel de la production, qui appelle les plus humbles à la vie physique comme les appelait le Christ à la vie morale.

    Quoi qu’on fasse ou dise, on n’échappera pas à la force des choses ; et la force des choses veut que le capitaine ne se dépouille pas en faveur du travail, et qu’avant d’attenter à ses profits, il prélève sur les salaires ce que l’état du marché ne peut plus lui donner. Si donc on voit un manufacturier hausser le prix de la main-d’œuvre, on peut être sûr que ses inventaires ont un aspect rassurant, que ses ateliers sont en pleine activité. Lorsque l’or s’écoule en minces filets au profit des ouvriers, on peut être convaincu qu’il coule à larges flots dans la caisse des chefs d’industrie, et je ne sache pas un seul exemple où l’on ait vu les salaires grandir au sein d’une industrie languissante. « Mais, dira-t-on, ne voyez-vous pas le taux de l’intérêt s’abaisser de toutes parts, tandis que s’élève au contraire, avec la valeur des forces humaines, celle des subsistances. Ne voyez-vous pas que le producteur hérite des dépouilles du capitaliste, du propriétaire, du rentier, et que, dans ce déplacement de la richesse, les caisses des uns s’emplissent aux dépens des caisses des autres ? » Je reconnais facilement la décadence du rentier et du propriétaire, c’est-à-dire de l’élément oisif de la société. Ils représentent des capitaux inertes qui doivent nécessairement perdre de leur prix au milieu de la multiplication générale des produits et des signes monétaires : et leur fortune présente même quelque chose d’analogue à ces monnaies qui s’usent par le frai, ou bien, — que l’on me permette cette comparaison peu économique — à des habits qui deviennent trop courts pour un corps que le temps développe et grandit. Rien de plus juste et de plus naturel à leur égard ; mais je nie positivement l’autre partie de la proposition, celle qui veut envelopper dans la même déchéance toute cette classe de producteurs qui mettent en œuvre leurs capitaux, commanditent des industries, et font servir leurs sueurs d’hier à fécon-