Page:Ricci - Trigault -Histoire de l'expédition chrestienne au royaume de la Chine, Rache, 1617.djvu/60

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le moindre indice d’une chose si remarquable, & ne les ay jamais ouy se vanter de cet accroissement d’Empire, mais plustost lors que je me suis souvent enquesté de cela vers quelques hommes doctes, ilz sont tous d’accord que cela n’a jamais este i y peu estre.

Cet abus des escrivains (afin que nous defendions leur authorité) a peu arriver de ce qu’on void en des lieux estrangers quelques vestiges du peuple Chinois, ausquelz il est croyable qu’ilz ont navigé de leur propre volonté, & non par commandement du Roy ; comme on peut voir auiourd huy ez Isles Philippines.

L’autre chose aussi tresdigne de remarque, est que tout le Royaume (comme j’ay dit cy dessus) est gouverné par les Philosophes, & qu’en iceux le Royaume se trouve entier, & meslé. Tous les Capitaines, & soldatz honorent ces Philosophes avec grande humilité & ceremonies particulières, & arrivé souvent qu’ilz sont fouettez par iceux, de mesme que parmi nous les enfans par le maistre d’escole. Ces Philosophes aussi gouvernent tous les affaires de guerre qui leur sont commis, & ausquelz ilz president, & leurs conseilz & opinions ont plus d’autorité vers le Roy, que de tous les autres chefz de guerre, lesquelz ilz ont de coustume de n’admettre qu’en petit nombre, & encore peu souvent, aux consultations militaires. De cela provient qu’aucun de ceux qui ont de l’ambition ne s’addonnent aux exercices guerriers ; ains aspirent plustost aux moindres dignitez du Senat Philosophique, qu’aux plus grandes charges & offices de guerre : car ilz voyent que les Philosophes devancent de beaucoup, tant en proufit, qu’en reputation & honneur. Mais ce qui en cecy semblera plus estrange aux estrangers, est que ces philosophes sont beaucoup plus nobles & courageux, plus fideles au Roy & à la Republique, mesprisent plus genereusement la mort pour l’amour de la patrie, que tous ceux qui de profession particuliere s’adonnent à la guerre. Cela peut estre provient de ce que par l’estude des bonnes lettres le courage de l’homne s’anoblit  : ou pource que dez les premiers commencemens du règne les lettres pacifiques ont tousjours esté en plus grande estime, que l’art militaire, entre un peuple qui n’a pas este ambitieux d’agrandir son Empire.

La concorde, & bonne correspondance des Magistrats superieurs & inferieurs par ensemble, n’est pas moins admirable ; ou celle des provinciaux avec ceux de la Cour ; ou d’iceux avec le Roy ; laquelle ilz observent non seulement en mettant peine d’obeyr de poinct en poinct, mais encor par demonstration, & reverence exterieure : car ilz n’oublient jamais les visites coustumieres en certain temps, ny les devoirs de presens. Les inferieurs aussi parlent fort rarement aux superieurs,