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Page:Richard - Acadie, reconstitution d'un chapitre perdu de l'histoire d'Amérique, Tome 3, 1916.djvu/253

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foyers. L’abandon de leurs biens, leur patrie perdue, — voilà ce qui a le plus frappé l’imagination populaire. Ignorant que les habitants d’une même localité avaient été séparés, les membres d’une même famille disjoints, l’on a vu dans ce départ une immense calamité sans doute, mais une calamité dont le temps pouvait effacer les traces. La vie tient à une infinité de liens. Il est des douleurs soudaines, poignantes, qui affectent plus vivement les esprits. Quelquefois le malheur n’a brisé qu’une partie de ces liens ; la souffrance a été vive, foudroyante même ; mais la blessure faite n’était pas sans remède ; un peu de temps, et les tissus reformés ont recouvert la plaie. Pour les Acadiens, le fait d’avoir été dépouillés de leurs biens, d’avoir été expulsés de leur sol natal, n’a pas été le plus considérable de leurs maux. L’épouse jetée sur la terre étrangère, séparée de son mari, de ses enfants, l’époux semé sur d’autres plages lointaines, sans espoir pour les uns et les autres de jamais se revoir : voilà de ces douleurs que le temps n’efface pas ; voilà de ces liens sacrés, brisés pour toujours, et qui anéantissent. Tant que le corps demeurait sain et vigoureux, il pouvait opposer à tous ces coups une résistance. Mais la douleur consume les forces physiques ; la santé s’abîme. Cette mère éplorée, cette épouse inconsolable, ne pouvait que languir et mourir. Elle est morte, disait-on, de telle ou telle maladie ; en réalité, c’était la souffrance morale qui l’avait tuée.

Seuls les Acadiens, seuls les fils de ceux qui ont tant souffert, seuls ceux qui ont entendu au foyer l’âpre récit des transmigrations de leurs parents, de leur dénuement, de leurs vains efforts pour se retrouver après de longues années de captivité, ont pu se faire une idée de l’étendue et de