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Page:Richard - Acadie, reconstitution d'un chapitre perdu de l'histoire d'Amérique, Tome 3, 1916.djvu/254

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la profondeur de leur infortune. Les séparations, déjà nombreuses par l’effet des ordres de Lawrence, par la ruse ou l’indifférence de ses subordonnés, ont été considérablement accrues par la grande mortalité survenue parmi les victimes. Rameau, qui a consacré quarante ans de sa vie à de patientes recherches sur le nombre des déportés, leur destination, leurs transmigration successives, établit au delà de tout doute, par des relevés officiels, ou des calculs indiscutables dans l’ensemble, que, des 18,000 Acadiens qui peuplaient la péninsule, l’Isthme de Shédiac, l’Île St-Jean, l’Île Royale, 14,000 furent déportés de 1755 à 1763 ; que le nombre de ceux qui périrent pendant cette période fut de 8,000[1]. Cette réduction de quarante pour cent dans le chiffre de la population, quand l’augmentation normale avait été jusque-là de cinq pour cent par année, représente bien d’autres séparations que celles qui furent commandées par Lawrence ; mais celles-ci ont été la cause des autres, en grande partie du moins. Que le chagrin, la misère, les épidémies, ou toute autre cause naturelle, aient amené cette effroyable proportion dans la mortalité, le spectacle n’en est pas moins navrant. Quelle mère se consolera jamais d’un enfant mort en exil, loin des siens, et victime de la misère peut-être ? Et combien peu de mères acadiennes furent à l’abri d’un pareil malheur, quand on songe que quarante-quatre pour cent de la population fut décimé !

Ce n’est pas en s’en tenant au froid récit de l’embarquement de ces malheureux dans les ports de l’Acadie, ou en accordant une pensée fugitive aux angoisses inévitables de cette expatriation, que l’on peut embrasser toute l’étendue

  1. Cf. surtout ch. XVI de Une colonie féodale.