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déclarait que l’on aurait bien tort de se déranger pour « quelques arpents de neige »[1]. Le mot fit fortune, détermina tout un courant d’opinion défavorable à notre cause, — et le Canada fut perdu[2]. Les colonies d’outre-mer avaient des devoirs envers la France, dont elles se sont généreusement acquitté. La France peut-elle à son tour en dire autant à leur égard ? Un père de famille est-il quitte envers ses enfants après leur avoir donné le jour ? Ne leur doit-il pas en plus éducation et protection ?

Après plus d’un siècle d’oubli, la France a constaté que l’enfant lointain qu’elle avait conçu dans un élan d’amour pour l’abandonner ensuite à son propre sort, avait grandi, et qu’il gardait toujours de son ancienne mère-patrie un tendre souvenir ; elle s’est aussi aperçue que les arpents de neige qu’elle avait dédaignés étaient devenus presque un empire, dont les immenses ressources enrichissaient sa rivale. Elle a pu regretter alors d’avoir été si peu clairvoyante, de n’avoir pas prévu l’avenir qui était réservé à ce pays et de ne s’être pas résolue à faire les plus grands

  1. « On plaint ce pauvre genre humain qui s’égorge dans notre continent à propos de quelques arpents de glace en Canada.” — Correspondance de Voltaire. Édit. de 1830, chez Delangle frères, pp. 527 et 528 du vol. 76 des Œuvres complètes ». Tome IX de la Correspondance
  2. « Vous perdre fut une légèreté de l’ancien régime, ne pas vous pleurer fût la honte des philosophes, qui, infailliblement hostiles à l’instinct national, félicitaient la Prusse de nous avoir vaincus, admiraient Frédéric, Marie-Thérèse et Catherine d’avoir dépecé la Pologne, notre alliée naturelle, et n’en voulaient pas à l’Angleterre de nous avoir pris “quelques arpents de neige ». Cette neige, du moins, avait été rougie par un sang plus français que leur encre, et le rire stupide des intellectuels qui vous abandonnaient gaiement fut compensé par la fidélité silencieuse des soldats, qui, pour vous défendre, surent mourir.”

    Étienne Lamy. Disc, prononcé au premier Congrès de la Langue française au Canada, le mardi soir 25 juin 1912. Cf. Compte-Rendu du Congrès, p. 239.

    « Canada, petite colonie d’hier, nation d’aujourd’hui, empire de demain. »

    Id. Ibid. p. 259.