Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/157

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pour d’autres faveurs de la même nature. Si ce lieu ne lui plaisait pas, je suis en état de m’introduire, lorsqu’elle me l’aura permis, dans une sorte de verger à la manière de Hollande, qui règne le long du mur. Mon espion, l’honnête Joseph Léman , m’a fourni le moyen de me procurer deux clefs, dont quelques bonnes raisons m’ont porté à lui laisser l’une, qui ouvre une porte du jardin, du côté d’une vieille allée où la tradition du pays est qu’il revient des esprits , parce qu’un homme s’y pendit, il y a plus de vingt ans. Il est vrai que cette porte est assurée par un verrou du côté du jardin ; mais, dans l’occasion, Joseph lèvera l’obstacle. Il a fallu lui promettre, sur mon honneur, qu’il n’arrivera de ma part aucun malheur à ses maîtres. Le coquin m’assure qu’il les aime ; mais que, me connaissant pour un homme d’honneur, dont il sait que l’alliance ne peut être qu’avantageuse pour la famille, comme tout le monde le reconnaîtra, dit-il, lorsque les préjugés seront détruits, il ne fait pas difficulté de me rendre service ; sans quoi, pour le monde entier, il ne voudrait pas charger sa conscience d’un tel rôle. Il n’y a point de fripon qui ne trouve le moyen de se justifier par quelque endroit, à son propre tribunal ; et je conviens que, si quelque chose est glorieux pour l’honnêteté, c’est de voir que les plus scélérats y prétendent, dans le temps même qu’ils se livrent à des actions qui doivent les faire passer pour tels aux yeux de tout le monde et à leurs propres yeux. Mais que faut-il penser d’une stupide famille qui me jette dans la nécessité d’avoir recours à cette multiplication de machines ? Mon amour et ma vengeance prennent le dessus tour à tour. Si la première de ces deux passions n’a pas le succès que j’espère, ma consolation sera de satisfaire la seconde. Ils la sentiront ; j’en jure par tout ce qu’il y a de sacré ; fallût-il renoncer à ma patrie pour le reste de mes jours. Je me jeterai aux pieds de ma divinité ; dessein que j’ai déjà formé deux fois sans succès. Je connaîtrai alors quel fond j’ai à faire sur ses sentimens. Si je n’étais arrêté par cette espérance, je serais tenté de l’enlever. Un si beau rapt est digne de Jupiter même. Mais je ne veux mettre que de la douceur dans tous mes mouvemens. Mon respect ira jusqu’à l’adoration. Sa main connaîtra seule tout le feu de mon cœur, par l’impression de mes lèvres ; de mes lèvres tremblantes ; car je suis sûr qu’elles trembleront, quand je ne serais pas résolu de le feindre. Mes soupirs seront aussi doux que ceux de mon tendre bouton de rose. Je l’inviterai à la confiance par mon humilité. Je ne tirerai aucun avantage de la solitude du lieu. Tous mes soins seront rapportés à dissiper ses craintes, à lui persuader qu’elle peut se reposer à l’avenir sur ma tendresse et sur mon honneur. Mes plaintes seront légères, et je ne m’emporterai pas à la moindre menace contre ceux qui ne cessent point de m’en faire. Mais, Belford, tu te figures bien que c’est pour imiter le lion de Dryden, c’est-à-dire, " pour m’assurer ma proie, et lâcher ensuite la bride à ma vengeance, sur d’indignes chasseurs qui ont l’audace de s’attaquer à moi ".



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

samedi au soir, 18 mars. J’ai pensé mourir de frayeur. J’en suis encore hors d’haleine. Voici