Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/167

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Si vous n’avez pas eu d’autre raison pour ce changement de style, que celle qu’il vous a plu de me donner, prenez la peine d’examiner, comme je me souviens de vous y avoir exhortée, ce qu’il faut penser de cette raison. Pourquoi votre amie souffrirait-elle que vous fussiez volée sans le savoir ? Lorsqu’une personne se sent attaquée d’un rhume, son premier soin est de chercher comment elle a pu le gagner ; et lorsqu’elle croit s’en être rendu bon compte, elle prend son parti, qui est, ou de lui laisser son cours, ou d’employer quelques remèdes pour s’en délivrer, s’il est fort incommode. De même, ma chère, avant que la maladie dont vous êtes ou dont vous n’êtes pas attaquée, devienne si importune qu’elle vous oblige au régime, permettez que je cherche avec vous d’où elle peut venir. Je suis persuadée, aussi certainement que je suis sûre d’écrire, que, d’un côté, la conduite indiscrète de vos parens, et de l’autre, l’adresse insinuante de Lovelace, du moins, si cet homme n’est pas un plus grand fou que tout le monde ne le pense, amèneront les choses à ce point, et feront son ouvrage pour lui ? Mais passons. Si ce doit être Lovelace ou Solmes, le choix n’admet aucune discussion. Cependant, en supposant de la vérité dans tout ce qu’on raconte, je préférerais tout autre de vos amans à l’un et à l’autre, quelque indignes qu’ils soient aussi de vous. Qui peut être digne, en effet, de Miss Clarisse Harlove ? Je souhaite que vous ne m’accusiez pas de toucher trop souvent la même corde. Je me croirais inexcusable (d’autant plus que ce point me semble hors de doute ; et que, s’il étoit question de preuves, j’en pourrais tirer de vingt endroits de vos lettres,) inexcusable, dis-je, si vous vouliez avouer ingénûment… avouer quoi ? M’allez-vous dire. Je me flatte, ma chère Anne Howe, que vous ne m’attribuez pas déjà de l’amour. Non, non. Comment votre Anne Howe pourrait-elle former cette pensée ? l’amour, ce mot si court à prononcer, porte une signification bien étendue. quel nom lui donnerons-nous ? Vous m’avez fourni un terme dont le sens est plus resserré, mais qui ne laisse pas de signifier aussi quelque chose : une sorte de goût conditionnel . Le voilà, ma chère. ô tendre amie ! Ne sais-je pas combien vous méprisez la pruderie, et que vous êtes trop jeune, trop aimable, pour être une prude ? Mais écartons ces noms durs ; et souffrez, ma chère, que je vous répète ce que je vous ai déjà dit : c’est que je me croirai en droit de me plaindre extrêmement de vous, si vous vous efforcez, dans vos lettres, de me déguiser quelque secret de votre cœur. J’ajoute que, si vous m’expliquez nettement quel degré Lovelace tient ou ne tient pas dans votre affection, je serais plus en état que je ne le suis de vous donner un bon conseil. Vous qui vous êtes fait une si grande réputation de prescience , si je puis employer ce terme, et qui la méritez effectivement plus qu’aucune personne de votre âge, vous avez raisonné sans doute avec vous-même sur son caractère, dans la supposition que vous deviez un jour être à lui. Vous avez fait de même pour Solmes ; et de là est venue, sans doute, votre aversion pour l’un, comme votre goût conditionnel pour l’autre. Voulez-vous m’apprendre, ma chère, ce que vous avez pensé de ses bonnes et de ses mauvaises qualités ; quelle impression les unes et les autres ont faites sur vous ? Alors, les mettant