Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/172

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Soyez bien sûre, Madame Norton, lui a dit mon père, d’un ton irrité, que nous ne serons pas joués par un enfant. Il ne sera pas dit que nous soyons les sots de l’aventure, comme si nous n’avions aucune autorité sur notre propre fille. En un mot, nous ne souffrirons pas qu’elle nous soit enlevée par un libertin détestable, qui a pensé tuer notre fils unique. Ainsi, croyez-moi, le meilleur parti pour elle, est de se faire un mérite de son obéissance ; car il faut qu’elle obéisse, si je vis, quoique, par l’indiscrète bonté de mon père, elle se croie indépendante de moi, qui suis le sien. Aussi, depuis ce tems-là, n’a-t-elle pas été ce qu’elle était auparavant. C’est une disposition injuste… qui m’a l’air de prospérer comme il plaira au ciel. Mais si jamais elle épouse ce vil Lovelace, je mangerai en procès jusqu’au dernier schelling. Donnez-lui cet avis de ma part ; et que le testament peut être cassé, et qu’il le sera. Mes oncles se sont joints à mon père, avec la même chaleur. Mon frère a fait les déclarations les plus violentes. Ma sœur n’a pas été plus modérée. Ma tante Hervey a dit, avec plus de douceur, qu’il n’y avait point d’occasion où le gouvernement des parens fût plus convenable que dans celle du mariage, et qu’il lui paroissait très-juste qu’on me fît là-dessus des loix. C’est avec ces instructions que la bonne femme est montée à ma chambre. Elle m’a fait le récit de tout ce qui venait de se passer. Elle m’a pressée long-temps de me rendre avec tant de candeur, pour s’acquitter de sa commission, que j’ai cru plus d’une fois qu’ils l’avoient fait entrer dans leurs intérêts. Mais après avoir reconnu mon insurmontable aversion pour leur favori, elle a déploré avec moi l’excès de mon infortune. Ensuite elle a voulu s’assurer si j’étais sincère dans l’offre que je fais de me réduire au célibat. Lorsqu’après m’avoir examinée, elle n’a pu douter de mes dispositions, elle est demeurée si convaincue qu’une offre qui exclut M Lovelace doit être acceptée, qu’elle s’est empressée de descendre ; et quoique je lui aie représenté qu’il ne m’a rien servi de l’avoir proposée plusieurs fois, elle a cru pouvoir m’en garantir le succès. Mais elle est bientôt revenue tout en pleurs, et fort humiliée des reproches qu’elle s’est attirés par ses instances. Ils lui ont répondu que mon devoir est d’obéir, quelques loix qu’il leur plaise de m’imposer ; que ma proposition n’est qu’un artifice pour gagner du temps ; qu’il n’y a que mon mariage avec M Solmes qui puisse les satisfaire ; qu’ils me l’ont déjà déclaré, et qu’ils ne peuvent être tranquilles qu’après la célébration, parce qu’ils n’ignorent pas combien Lovelace a d’ascendant sur mon cœur ; que j’en suis convenue moi-même dans mes lettres à mes oncles, à mon frère et à ma sœur, quoique je l’aie désavoué à ma mère avec beaucoup de mauvaise foi ; que je me repose sur leur indulgence, et sur le pouvoir que je crois avoir sur eux ; qu’ils ne m’auraient pas bannie de leur présence, s’ils ne savaient eux-mêmes que leur considération pour moi surpasse de beaucoup celle que j’ai pour eux ; mais qu’enfin ils veulent être obéis ; sans quoi, jamais ils ne me rendront leur affection, quelles qu’en puissent être les conséquences. Mon frère a jugé à propos de reprocher à la pauvre femme, de n’avoir servi qu’à m’endurcir par ses lamentations vides de sens . Il y a dans l’esprit des femmes, lui a-t-il dit, un fond de perversité et d’orgueil théatral, qui est capable de faire tout risquer à une jeune tête romanesque,