Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/231

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vous, et qui ne serait pas un Lovelace. Il faut me pardonner cette franchise, ma chère, et me pardonner aussi d’être revenue sitôt à ce qui me touche immédiatement. Vous vous fortifiez du sentiment de M Lovelace, pour insister encore sur la nécessité de réclamer mes droits ; et vous souhaitez que je vous explique plus nettement mes idées sur ce point. Il me semble néanmoins que les raisons, par lesquelles je puis combattre votre avis, se présentent si naturellement d’elles-mêmes, qu’elles devraient vous avoir fait rétracter ce conseil précipité. Mais, puisqu’elles ne vous sont pas venues à l’esprit, et que vous vous joignez à M Lovelace pour m’exciter à reprendre ma terre, je m’expliquerai là-dessus en peu de mots. D’abord, ma chère, en supposant que j’eusse de l’inclination à suivre votre avis, je vous demande sur le secours de qui je pourrais compter pour me soutenir dans cette entreprise. Mon oncle Harlove est un des exécuteurs testamentaires : il s’est déclaré contre moi. M Morden est l’autre : il est en Italie ; et ne peut-on pas l’engager aussi dans des intérêts différens des miens ? D’ailleurs, mon frère a déclaré qu’on est résolu d’en venir à la décision avant son retour ; et, de l’air dont on s’y prend, il est fort vraisemblable qu’on ne me laissera pas le temps de recevoir sa réponse, quand je lui écrirais : sans compter que, renfermée comme je suis, je ne puis me promettre qu’elle vienne jusqu’à moi, si elle n’est pas de leur goût. En second lieu, les parens ont beaucoup d’avantage sur une fille qui leur dispute le droit de disposer d’elle : et je trouve de la justice dans ce préjugé, parce que, de vingt exemples, il n’y en a pas deux où la raison ne parle pour eux. Vous ne me conseilleriez pas, j’en suis sûre, d’accepter les secours que M Lovelace m’offre dans sa famille. Si je pensais à chercher d’autres protections, nommez-moi quelqu’un qui voulût embrasser le parti d’une fille, contre des parens, dont on a connu si long-temps l’affection pour elle. Mais, quand je trouverais un protecteur tel que ma situation le demande, quelles longueurs n’entraîne pas le cours d’un procès ? On assure qu’il y a des nullités dans le testament. Mon frère parle quelquefois d’aller demeurer dans ma terre, pour me mettre apparemment dans la nécessité de l’en chasser, si j’entreprenais de m’y établir ; ou pour opposer à Lovelace toutes les difficultés de la chicane, si je venais à l’épouser. Je n’ai parcouru tous les cas, que pour vous faire connaître qu’ils ne me sont pas tout-à-fait étrangers. Mais il m’importerait peu d’être mieux instruite, ou de trouver quelqu’un qui voulût embrasser mes intérêts. Je vous proteste, ma chère, que j’aimerais mieux demander mon pain, que de disputer mes droits contre mon père. C’est un de mes principes, que jamais un père et une mère ne peuvent s’écarter assez de leur devoir, pour dispenser un enfant du sien. Une fille en procès avec son père ! Cette idée me révolte. J’ai demandé, comme une faveur, la permission de me retirer dans ma terre, si je dois être chassée de la maison : mais je ne ferai pas une démarche de plus ; et vous voyez comment on s’est courroucé de ma demande. Il ne me reste donc qu’une espérance : c’est que mon père pourra changer de résolution, quoique ce bonheur me paroisse peu vraisemblable à moi-même, quand je considère l’ascendant que mon frère et ma sœur ont obtenu sur toute la famille, et l’intérêt qu’ils ont à soutenir leur haine, après me l’avoir ouvertement déclarée. à l’égard