Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/236

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et s’il ne vous force point à le conserver par la crainte, suivant ses principes de gouvernement, je reconnaîtrai alors que je me suis trompée. Cependant, après tout, je dois laisser le véritable point de la question indéterminé, et l’abandonner à votre propre décision, qui dépendra du degré d’emportement que vous verrez dans leurs démarches, ou du danger plus ou moins pressant d’être enlevée pour la maison de votre oncle. Mais je prie encore une fois le ciel de susciter quelque évènement qui puisse vous empêcher d’être jamais à l’un ou à l’autre de ces deux hommes. Puissiez-vous demeurer fille, ma très-chère amie, jusqu’à ce que les puissances favorables au mérite et à la vertu vous amènent un homme digne de vous, ou du moins aussi digne qu’un mortel puisse l’être ! D’un autre côté, je ne voudrais pas qu’avec des qualités si propres à faire l’ornement de l’état conjugal, vous prissiez le parti de vous condamner au célibat. Vous me connaissez incapable de flatterie. Ma langue et ma plume sont toujours les organes de mon cœur. J’ajoute que vous devez vous connaître assez vous-même, par comparaison du moins avec les autres femmes, pour ne pas douter de ma sincérité : en effet, pourquoi voudrait-on qu’une personne qui fait ses délices de découvrir et d’admirer tout ce qu’il y a de louable dans autrui, n’aperçut pas les mêmes qualités dans elle-même, lorsqu’il est certain que, si elle ne les possédait pas, elle ne serait pas capable de les admirer si vivement dans un autre ? Et pourquoi ne pourrait-on pas lui donner les louanges qu’elle donnerait à tout autre qui n’aurait que la moitié de ses propres perfections ? Sur-tout, si elle est incapable de vanité ou d’orgueil, et si elle est aussi éloignée de mépriser ceux qui n’ont pas reçu les mêmes avantages, que de s’estimer trop pour les avoir reçus. S’estimer trop ! Ai-je dit. Eh ! Comment le pourriez-vous jamais ? Pardon, ma charmante amie. Mon admiration, qui ne fait qu’augmenter à chaque lettre que vous m’écrivez, ne doit pas toujours être étouffée par la crainte de vous déplaire ; quoique cette raison soit souvent un frein pour ma plume, lorsque je vous écris, et pour ma langue, lorsque j’ai le bonheur de me trouver avec vous. Je me hâte de finir, pour répondre à votre empressement. Combien de choses néanmoins je pourrais ajouter sur vos dernières confidences ! Anne Howe.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

dimanche matin, 16 de mars. Que les louanges ont de douceur dans la bouche d’une amie ! Soit qu’on se flatte ou non de les mériter, il est extrêmement agréable de se voir si bien dans l’esprit de ceux dont on ambitionne la faveur et l’estime. Une ame ingénue en tire un autre avantage : si elle ne se croit pas déjà digne du charmant tribut qu’elle reçoit, elle se hâte d’acquérir les qualités qui lui manquent, avant qu’on s’aperçoive de l’erreur ; autant pour se faire honneur à ses propres yeux, que pour se conserver dans l’estime de son amie, et pour justifier son jugement. Que ce but puisse toujours être le mien ! Alors je vous serai redevable, non-seulement de l’éloge, mais du mérite même auquel vous croirez le pouvoir accorder ; et j’en deviendrai