Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/243

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chercher des amusemens hors d’eux-mêmes ; et leur goût peut-être, a conclu ma sage maman (auriez-vous cru, ma chère, que sa sagesse fût si moderne ?) sera de choisir des deux côtés ceux où l’autre n’a point de part ". Je lui ai représenté que, si vous tombiez dans la nécessité de faire quelque démarche hardie, il n’en faudrait accuser que l’indiscrète violence de vos proches. Je ne disconvenais pas, lui ai-je dit, que ses réflexions sur une infinité de mariages, dont le succès n’avait pas répondu aux espérances, ne fussent très-bien fondées ; mais je l’ai priée de convenir que, si les enfans ne pesaient pas toujours les difficultés avec autant de sagesse qu’ils le devaient, trop souvent aussi les parens n’avoient pas pour leur jeunesse, pour leurs inclinations et pour leur défaut d’expérience, tous les égards dont ils devaient reconnaître qu’ils avoient eu besoin au même âge. Elle est tombée delà sur le caractère moral de M Lovelace, et sur la justice qu’elle trouve dans la haine de vos parens pour un homme qui mène une vie si libre, et qui ne cherche pas à la désavouer. On lui a même entendu déclarer, m’a-t-elle dit, qu’il n’y a point de mal qu’il ne soit résolu de faire à notre sexe, pour se venger du mauvais traitement qu’il a reçu d’une femme, dans un temps où il était trop jeune (je crois que c’était son expression), pour n’avoir pas aimé de bonne foi. J’ai répondu, en sa faveur, que j’avais entendu blâmer généralement le procédé de cette femme ; qu’il en avait été si touché, que c’était à cette occasion qu’il avait commencé ses voyages ; et que, pour la chasser de son cœur, il s’était jeté dans un train de vie qu’il avait l’ingénuité de condamner lui-même ; que cependant il avait traité d’imposture la menace qu’on lui attribuait contre tout notre sexe ; que j’en pouvais rendre témoignage, puisque, lui ayant fait ce reproche devant vous, je l’avais entendu protester qu’il n’était pas capable d’un ressentiment si injuste contre toutes les femmes pour la perfidie d’une seule. Vous vous en souvenez, ma chère, et je n’ai pas oublié non plus l’aimable réflexion que vous fîtes sur sa réponse : " vous n’aviez pas de peine, me dites-vous alors, de croire son désaveu sincère, parce qu’il vous paroissait impossible qu’un homme, aussi touché qu’il parut l’être de l’imputation de fausseté, fût capable d’en commettre une ". J’ai fait observer particulièrement à ma mère, que les mœurs de M Lovelace n’avoient pas fait un sujet d’objection lorsqu’il s’était présenté pour Miss Arabelle ; qu’on s’était reposé alors sur la noblesse de son sang, sur ses qualités et ses lumières extraordinaires, qui ne permettaient pas de douter qu’une femme vertueuse et prudente ne le fît rentrer en lui-même. J’ai même ajouté, au risque de vous déplaire, que, si votre famille était composée d’assez honnêtes gens, suivant les idées communes, on ne leur attribuait pas, à l’exception de vous, une délicatesse extrême sur la religion ; qu’il leur convenait peu, par conséquent, de reprocher aux autres les défauts de cette nature. Et quel homme ont-ils choisi, ai-je dit encore, pour le décrier à ce titre ? L’homme d’Angleterre le plus estimé pour son esprit et ses talens, et le plus distingué par ses qualités naturelles et acquises, quelque reproche qu’on entreprenne de faire à ses mœurs ; comme s’ils avoient assez de pouvoir et d’autorité pour se croire en droit de ne consulter que leur haine ou leur caprice. Ma mère est revenue à conclure qu’il y en aurait plus de mérite dans