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Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/429

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découvrir nos traces, qu’elle en devait prendre une de moi pour recevoir ses habits ; du moins si l’on se détermine à lui accorder une demande si juste. Je ne suis point tranquille là-dessus. Si la réponse est favorable, je commencerai à me défier d’une réconciliation, et je serai forcé de méditer une ou deux ruses pour la prévenir : je puis ajouter aussi, pour éviter les fâcheux accidens ; car c’est un grand point pour moi, comme j’en ai toujours assuré l’honnête Joseph. Tu vas me prendre pour un vrai démon. Dis, qu’en penses-tu ? Mais tous les libertins ne sont-ils pas autant de démons ? Et toi, dans la sphère de ton petit pouvoir, n’en es-tu pas un comme les autres ? Si tu fais tout le mal que tu as dans la tête et dans le cœur, tu es plus méchant que moi ; car je t’assure que je ne remplis jamais la moitié de mes idées. J’ai proposé, et la belle consent, que tout ce qui lui viendra de sa famille te soit adressé chez ton cousin Osgood. Qu’on ne manque point de faire partir, à mes frais, un messager, qui m’apporte sur le champ tout ce que tu recevras. Si le paquet n’était pas facile à transporter, tu m’en donnerais avis. Mais je te jure hardiment que ses proches ne causeront aucun embarras de cette nature. Je m’en tiens si certain, que je suis tenté de les abandonner à eux-mêmes. Un esprit juste connaît les bornes de sa défiance, et n’emploie pas plus de précautions qu’il n’en a besoin. Mais, tandis que j’y pense, rappelle ton attention pour deux choses qui en demandent beaucoup. L’une est de m’écrire désormais en chiffre, comme je t’écrirai moi-même. Savons-nous entre les mains de qui nos lettres peuvent tomber ? Et ne serait-il pas horrible de nous voir sauter par une traînée de notre propre poudre ? Le second point, que tu ne dois pas oublier, c’est que j’ai changé de nom ; changé, te dis-je, sans me soucier d’être autorisé par un acte du parlement. Je me nomme à présent Robert Huntingfort. écris-moi sous cette adresse, à Hertfort, pour prendre à la poste. Lorsque je lui ai parlé de toi, elle m’a demandé quel est ton caractère. Je t’en ai donné un, beaucoup meilleur que tu ne le mérites, pour l’honneur du mien. Cependant je lui ai dit que tu avais l’air assez épais ; afin que, s’il lui arrive de te voir, elle ne s’attende pas à te trouver mieux que tu n’es pour la figure. Au fond, ton épaisseur apparente ne t’est pas trop désavantageuse. Si tu avais la physionomie bien fine, on ne découvrirait rien d’extraordinaire en toi lorsqu’on vient à t’entretenir : aulieu que, te prenant d’abord pour un ours, on est surpris de te trouver quelque chose qui ressemble à l’espèce humaine. Félicite-toi donc de tes défauts, qui sont évidemment tes principales perfections, et qui t’attirent une distinction que tu ne pourrais espérer autrement. La maison qui nous sert aujourd’hui de logement, n’est pas fort commode. J’ai poussé la délicatesse jusqu’à trouver mauvais que les chambres communiquent l’une à l’autre ; parce que j’ai prévu que cette ordonnance d’architecture ne plairait point à ma belle ; et je lui ai dit que, si je pouvais me rassurer contre les poursuites, je la laisserais dans ce lieu rustique, puisqu’elle souhaite si ardemment que je m’éloigne. Le diable s’en mêlera, si je ne parviens à bannir de son cœur jusqu’à l’ombre de la défiance. Son incrédulité ne tiendra point contre la raison et les apparences. Nous avons ici deux jeunes créatures assez agréables, toutes deux filles