père, et de partir avec un homme dont elle connaissait le caractère, en stipulant même de faire dépendre son mariage de plusieurs suppositions éloignées et sans vraisemblance ! Quand le sujet de ses plaintes aurait été capable de justifier toute autre femme, une Clarisse devait-elle ouvrir l’entrée de son cœur à des ressentimens dont elle se condamne aujourd’hui d’avoir été si touchée ? Mais voyons cette chère créature qui prend la résolution de révoquer sa promesse ; qui ne s’en détermine pas moins à se trouver au rendez-vous avec son amant, homme dont elle connaît la hardiesse et l’intrépidité, à qui elle a manqué de parole plus d’une fois, et qui vient, comme elle doit s’y attendre, dans la disposition de recueillir le fruit de ses services, c’est-à-dire résolu de l’enlever. Voyons cet homme qui l’enlève actuellement, et qui en devient le maître absolu. Ne peut-il pas se trouver, je le répète, d’autres Lovelaces, d’autres mortels audacieux et constans qui lui ressemblent, quoiqu’ils puissent ne pas conduire tout-à-fait leurs desseins par les mêmes voies ? Est-il donc vrai qu’une Clarisse ait été fragile, suivant ses propres règles, fragile sur des points de cette importance ? Et ne se peut-il pas qu’elle le devienne encore plus ; qu’elle le soit sur le plus grand point, vers lequel toutes ses autres fragilités semblent l’acheminer naturellement ? Ne me dis pas que, pour nous comme pour ce sexe, la vertu est une faveur du ciel ; je ne parle ici que de l’empire moral que chacun peut avoir sur ses sens : et ne me demande pas pourquoi l’homme s’accorde des libertés qu’il refuse aux femmes, et dont il ne veut pas même qu’elles puissent être soupçonnées ? Vains argumens, puisque les fautes d’une femme sont plus injurieuses pour son mari, que celles d’un mari ne le sont pour sa femme. Ne comprends-tu pas quel odieux désordre les premières jetteraient dans la succession des familles ? Le crime ne saurait être égal. D’ailleurs, j’ai lu quelque part que la femme est faite pour l’homme : cette dépendance entraîne une obligation plus indispensable à la vertu. Toi, Lovelace ! (me dirais-tu, peut-être, si je te connaissais moins) toi, demander tant de perfection dans une femme ! Oui, moi, puis-je te répondre. Connais-tu le grand César ? Sais-tu qu’il répudia sa femme sur un simple soupçon ? César était aussi libertin que Lovelace, et n’était pas plus fier. Cependant je conviens qu’il n’y eut peut-être jamais de femme qui ait tant approché que ma Clarisse de la nature angélique. Mais, encore une fois, n’a-t-elle pas déjà fait des démarches qu’elle condamne elle-même ? Des démarches, dont le public et sa propre famille ne l’auraient pas crue capable, et que ses plus chers parens ne veulent pas lui pardonner ? Ne t’étonne pas même que je n’admette point, en faveur de sa vertu, l’excuse qu’on peut tirer de ses justes ressentimens. Les persécutions et les tentations ne sont-elles pas l’épreuve des ames vertueuses ? Il n’y a point d’obstacles ni de ressentimens qui autorisent la vertu à s’anéantir elle-même. Reprenons. Crois-tu que celui qui a pu la mener si loin, ne soit pas encouragé, par le succès, à marcher en avant ? Il n’est question que d’un essai, Belford. Qui s’alarmera d’un essai pour une femme toute divine ? Tu sais que je me suis quelquefois plu à faire des essais sur de jeunes personnes de mérite et d’un assez beau nom. C’est une chose