Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/499

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j’ai un peu regimbé à la première lecture ; mais chaque fois que je la recommence, je sens croître pour vous, s’il est possible, ma tendresse et ma vénération. J’ai néanmoins un avantage sur vous, que je conserverai dans cette lettre et dans toutes celles que je vous écrirai à l’avenir ; c’est qu’en vous traitant avec la même liberté, je ne croirai jamais que ma franchise ait besoin d’apologie. J’attribue cet effet à la douceur de votre naturel, et à quelques petites réflexions que je ne laisse pas de faire, en passant, sur la vivacité du mien. Il faut que je vous dise une fois mon sentiment sur l’un et l’autre. Vous êtes persuadée, ma chère, que la douceur n’est pas un défaut dans une femme ; et moi je tiens qu’un peu de chaleur, juste et bien placée, n’en est pas un non plus. Au fond, c’est louer, des deux côtés, ce que nous ne pouvons et ce que nous ne désirons peut-être pas de pouvoir empêcher. Il ne vous est pas plus libre de sortir de votre caractère, qu’à moi de renoncer au mien. Il faudrait que l’une et l’autre se fissent violence. Ainsi nous approuver, chacune de notre côté, dans l’état qui nous est propre, c’est transformer la nécessité en vertu. Mais j’observerai que, si votre caractère et le mien étoient peints exactement, le mien paraîtrait le plus naturel. Une belle peinture demande également des lumières et des ombres. La vôtre serait environnée de tant d’éclat et de gloire, qu’elle éblouirait à la vérité les yeux ; mais elle ferait perdre courage à ceux qui voudraient l’imiter. Puisse, ma chère, puisse votre douceur ne vous exposer à rien de fâcheux, de la part d’un monde qui n’est pas capable d’en sentir le prix ! Pour moi, dont la pétulance sait écarter ceux qui chercheraient à me nuire, je m’en trouve si bien, qu’en reconnaissant que ce caractère est moins aimable, je ne voudrais pas le changer pour le vôtre. Je me croirais inexcusable d’ouvrir la bouche pour contredire ma mère, si j’avais à faire à un esprit tel que le vôtre. La vérité, ma chère, est ennemie des déguisemens. C’est pour les caractères nobles et ouverts que je réserve mes louanges. Si chacun avait le même courage, c’est-à-dire celui de blâmer ce qui mérite du blâme et de ne louer que ce qui est digne de l’être, vous verriez qu’au défaut de principes et de conviction, la honte corrigerait le monde ; et que, dans une ou deux générations, peut-être la honte introduirait des principes. Ne me demandez pas à qui j’applique cette réflexion ; car je vous redoute, ma chère, presqu’autant que je vous aime. Rien ne m’empêchera néanmoins de vous prouver, par un nouvel exemple, qu’il n’y a que les belles ames qui méritent une obéissance implicite. La vérité, comme j’ai dit, est ennemie de toute sorte de fard. M Hickman est à votre avis un homme modeste : mais la modestie a quelquefois ses inconvéniens. (nous examinerons bientôt, ma chère, tout ce que vous me dites de cet honnête personnage.) il n’a pas manqué de me remettre votre dernier paquet en mains propres, avec une belle révérence et l’air d’un homme fort content de lui-même. Malheureusement cet air de satisfaction n’était pas encore passé, lorsque ma mère, entrant tout d’un coup, s’est également aperçue et de la joie qui paroissait sur son visage, et du mouvement que j’ai fait pour cacher le paquet dans mon sein. Elle ne s’est pas trompée dans ses conjectures. Lorsque la colère a réussi à certaines personnes, vous les voyez toujours en colère, ou cherchant l’occasion d’en marquer. Eh bien ! M Hickman ! Eh