Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/500

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bien, Nancy, c’est encore une lettre qu’on a la hardiesse d’apporter et de recevoir ? Là, votre homme modeste s’est trahi plus que jamais, par son embarras et par ses discours interrompus. Il ne savait s’il devait sortir, et me laisser vider la querelle avec ma mère ; ou s’il devait tenir bon, pour être témoin du combat. J’ai dédaigné d’avoir recours au mensonge. Ma mère s’est retirée brusquement ; et je ne m’en suis pas moins approchée d’une fenêtre, pour ouvrir le paquet, laissant à Monsieur Hickman la liberté d’exercer ses dents blanches sur l’ongle de son pouce. Après avoir lu vos lettres, je suis allée chercher hardiment ma mère. Je lui ai rendu compte de vos généreux sentimens, et du désir que vous aviez de vous conformer à ses volontés. Je lui ai proposé votre condition, comme de moi-même. Elle l’a rejetée. Elle ne doutait pas, m’a-t-elle dit, qu’il ne se fît d’admirables portraits d’elle, entre deux jeunes créatures qui ont plus d’esprit que de prudence. Aulieu d’être touchée de votre générosité, elle n’a fait usage de votre opinion que pour se confirmer dans la sienne. Elle m’a renouvelé sa défense, en y joignant l’ordre de ne vous écrire que pour vous en informer. Cette résolution, a-t-elle ajouté, ne changera point jusqu’à ce que vous soyez réconciliée avec vos proches. Elle m’a fait entendre qu’elle s’y étoit engagée, et qu’elle comptait sur ma soumission. Je me suis souvenue heureusement de vos reproches, et j’ai pris un air humble, quoique chagrin. Mais je vous déclare, ma chère, qu’aussi long-temps que je pourrai me rendre témoignage de l’innocence de mes intentions, et que je serai convaincue qu’il n’y a que de bons effets à se promettre de notre correspondance ; aussi long-temps qu’il me restera dans la mémoire que cette défense vient de la même source que toutes vos disgrâces ; aussi long-temps que je saurai, comme je le sais, que ce n’est pas votre faute si vos amis ne se réconcilient point avec vous, et que vous leur faites des offres que l’honneur et la raison ne leur permettent pas de refuser, toute la déférence que j’ai pour votre jugement, et pour vos excellentes leçons, qui conviendraient presqu’à tous les cas différens du vôtre, n’empêchera pas que je n’insiste sur la continuation de notre commerce, et que je n’exige dans vos lettres le même détail que si cette défense n’avait jamais été portée. Il n’entre aucune humeur, aucune perversité, dans ce que j’écris. Je ne puis vous exprimer combien mon cœur est intéressé à votre situation. En un mot, vous devez me permettre de penser que, si je suis assez heureuse pour vous être utile par mes lettres, la défense de ma mère ne sera jamais si bien justifiée que ma constance à vous écrire. Cependant, pour vous satisfaire autant qu’il m’est possible, je me priverai, en partie, d’une satisfaction si chère, et je bornerai mes réponses, pendant l’ interdit , aux occasions où mes principes d’amitié me les feront juger indispensables. L’expédient d’employer la main d’Hickman, (voici le tour de votre homme modeste , ma chère ; et comme vous aimez la modestie dans son sexe, je m’efforcerai de le tenir dans un juste éloignement, pour lui conserver votre estime), cet expédient, dis-je, est un petit piége dans lequel je ne donne pas aisément. L’intention de ma tendre amie est de rendre cet homme-là de quelque importance à mes yeux. La correspondance ira son train, quels que soient vos scrupules ; c’est de quoi je puis vous assurer : ainsi votre proposition en faveur d’Hickman devient inutile. Vous