Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/50

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la cérémonie. Miss Loyd et Miss Biddulph vinrent me demander ce que j’en savais, et pourquoi vous n’aviez pas paru à l’église le dimanche qui a suivi votre retour, au grand chagrin, pour répéter leurs expressions, d’une centaine de vos admirateurs. Sur ce point, il me fut aisé de juger que la raison était celle que vous me confirmez, c’est-à-dire, la crainte qu’on avait que Lovelace ne s’y trouvât, et qu’il n’entreprît de vous reconduire chez vous.

Ma mère est fort sensible aux témoignages de votre amitié. Miss Clarisse Harlove, m’a-t-elle dit, après avoir lu votre lettre, est une jeune personne qui mérite l’admiration de tout le monde. Va-t-elle quelque part ? Sa visite est une faveur. Sort-elle d’une maison ? Elle n’y laisse que du regret. Et puis un mot de comparaison : ô ma Nancy ! Que n’avez-vous un peu de son obligeante douceur ?

N’importe ; l’éloge vous regardoit. J’en ai joui, parce que vous êtes moi-même. D’ailleurs… vous dirai-je la vérité ? Je me trouve aussi bien comme je suis ; ne fût-ce que par cette raison, que, si j’avais vingt frères James et vingt sœurs arabelles, aucun d’eux, et tous ensemble, n’oseraient me traiter comme vous êtes traitée par les vôtres. Celui qui a la patience de souffrir beaucoup, s’apprête à beaucoup souffrir.

C’est votre propre maxime, fondée sur le plus grand exemple qu’on en puisse donner, dans le sein même de votre famille, quoique vous en ayez tiré si peu de profit.

Le résultat, ma chère, c’est que je suis plus propre que vous pour ce bas monde, et que vous l’êtes plus que moi pour l’autre. Voilà la différence qui est entre nous. Mais pour mon bonheur et pour celui de mille autres, puissiez-vous nous demeurer bien, bien long-temps, avant que de joindre une compagnie de votre espèce, et plus digne de vous !

J’ai communiqué à ma mère, le récit que vous me faites de votre étrange réception. Je lui ai dit aussi quel horrible animal on veut vous donner, et le traitement qu’on emploie pour vous forcer de le prendre. Elle s’est mise uniquement à relever son indulgence pour ma conduite tyrannique (c’est le nom qu’elle lui donne, et comme vous savez, il faut laisser parler les mères) à l’égard de l’homme qu’elle me recommande avec tant de chaleur, et contre lequel, à l’entendre, il n’y a point de juste objection. De-là elle s’est étendue sur la complaisance que je lui dois pour tant de bonté. Ainsi, je crois qu’il faut ne lui rien communiquer de plus, sur-tout, parce que je sais qu’elle condamnerait notre correspondance, et la vôtre avec Lovelace, comme clandestine et contraire au devoir ; car obéissance implicite est son cri. D’ailleurs elle ouvre assez volontiers l’oreille aux sermons de ce vieux garçon empesé, votre oncle Antonin ; et pour donner un exemple à sa fille, elle ne prendrait pas aisément votre parti, quelque justice qu’il y eût dans votre cause. C’est pourtant une assez mauvaise politique ; car on refuse tout à ceux qui n’accordent rien. En d’autres termes, ceux qui demandent trop de choses à la fois n’en obtiennent aucune.

Mais pourriez-vous deviner, ma chère, ce que ce bon vieux prédicateur , votre oncle Antonin, se propose ici par ses fréquentes visites ? Je remarque tant de mystères et de sourires entre ma mère et lui ! Ce sont des louanges mutuelles de leur économie ! Ce sont tant de petits propos ! Et, voilà ma méthode. Et, voilà ce que je fais toujours. Et, je suis bien aise, monsieur, d’avoir votre approbation. Et, votre attention s’étend à