Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/520

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Je veux vous apprendre ce qui devait s’y passer. On s’imaginait à la vérité que vous ne résisteriez pas aux prières et aux ordres de votre père, lorsqu’il vous aurait proposé de signer les articles. Il était résolu de vous traiter avec une condescendance paternelle, si vous ne lui aviez pas donné de nouveaux sujets de colère. " j’aime ma Clarisse, disait-il une heure avant l’affreuse nouvelle ; je l’aime comme ma vie. Je me mettrai à genoux devant elle, s’il ne me reste que cette voie pour la faire consentir à m’obliger ". Ainsi, par un renversement d’ordre assez étrange, votre père et votre mère se seraient humiliés devant vous ; et si vous aviez pu les refuser, ils auraient cédé, quoiqu’à regret. Mais on présumait que, du caractère doux et désintéressé dont on vous avait toujours crue, tous les dégoûts possibles pour l’un des deux hommes ne vous rendraient pas capable de cette résistance ; à moins que votre entêtement pour l’autre ne fût beaucoup plus fort que vous n’aviez donné raison de le croire. Si vous aviez refusé de signer, l’assemblée du mercredi n’aurait été qu’une simple formalité. On vous aurait présentée à tous vos amis, avec cette courte harangue : " la voilà, cette jeune fille, autrefois si soumise, si obligeante, qui fait gloire aujourd’hui de son triomphe sur un père, sur une mère, sur des oncles, sur l’intérêt et les vues de toute une famille, et qui préfère sa propre volonté à celle de tout le monde : pourquoi ? Parce qu’entre deux hommes qui demandent sa main, elle donne la préférence à celui qui est décrié pour ses mœurs " ! Après vous avoir accordé ainsi la victoire, et peut-être après avoir prié le ciel de détourner les suites de votre désobéissance, on en aurait appelé à votre générosité, puisque le motif du devoir se serait trouvé trop foible ; et vous auriez reçu ordre de sortir, pour faire encore une demi-heure de réflexion. Alors les articles vous auraient été présentés une seconde fois par quelque personne de votre goût ; par votre bonne Norton peut-être. Votre père aurait pu la seconder par quelques nouveaux efforts. Enfin, si vous aviez persisté dans votre refus, on nous aurait fait rentrer, pour le déclarer à l’assemblée. On aurait insisté sur quelques-unes des restrictions que vous aviez proposées vous-même. On vous aurait permis d’aller passer quelque temps chez votre oncle Antonin, ou chez moi, pour attendre le retour de M Morden ; ou jusqu’à ce que votre père eût pu supporter votre vue ; ou, peut-être, jusqu’à ce que Lovelace eût abandonné tout-à-fait ses prétentions. Le projet ayant été tel que je vous le représente, et votre père ayant tant compté sur votre soumission, tant espéré que vous vous laisseriez toucher par des voies si tendres et si douces, il n’est pas surprenant qu’il ait paru comme hors de lui-même à la nouvelle de votre fuite, d’une fuite si préméditée… avec vos promenades du jardin, vos soins affectés pour des oiseaux, et combien d’autres ruses pour nous aveugler tous ! Malicieuse, malicieuse jeune créature ! Pour moi, je n’en voulais rien croire, lorsqu’on vint me l’annoncer. Votre oncle Hervey ne pouvait se le persuader non plus. Nous nous attendions, en tremblant, à quelque aventure encore plus désespérée. Il n’y en avait qu’une qui pût nous le paraître plus ; et j’étais d’avis qu’on cherchât du côté de la cascade, plutôt que vers la porte du jardin. Votre mère tomba évanouie, pendant que son cœur était déchiré entre ces deux