Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/398

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qui avait pris mon nom chez Madame Moore, le dimanche 11 de juin, tandis que j’étais à l’église, pour recevoir une lettre qui m’aurait sauvée de ma ruine si j’avais eu le bonheur de la recevoir. Je lui faisais des excuses du désordre qu’elle avait dû remarquer dans mon esprit, et qui venait de l’excès de mes afflictions. Enfin, je la priais de m’envoyer le compte de ma dépense chez Madame Moore, pour me donner le pouvoir de m’acquitter ; et dans la crainte d’être observée par M Lovelace, je lui marquais une adresse détournée, dont je me croyais sûre. " Miss Rawlings m’apprend, dans sa réponse, " que le misérable avait engagé Madame Bévis à me représenter dans mon absence ; qu’il paraît que cette idée lui était venue sur le champ, à l’arrivée de votre messager ; que Madame Bévis s’était laissé persuader par la fausse supposition de vos efforts continuels pour ruiner la paix de notre mariage, et qu’elle avait reçu votre lettre sous mon nom. Elle excuse l’intention de cette jeune femme ; elle prend une part fort vive à mes infortunes ; mais elle se félicite beaucoup d’être informée assez tôt du caractère de M Lovelace, pour ne pas exécuter la parole qu’elle lui avait donnée de me rendre une visite chez Madame Sinclair, avec les deux veuves, dans la supposition que j’y étais heureuse avec lui. Elle m’apprend d’ailleurs qu’il a payé fort honorablement sa dépense et la mienne. " je vous rends grâces, ma chère, de m’avoir envoyé l’esquisse de vos deux lettres interceptées ; je vois l’extrême avantage qu’il en a pu tirer pour le succès de ses lâches desseins contre une fille infortunée dont il a fait son jouet si long-temps. Que je suis lasse de la vie ! Souffrez que je le répète. Que je sens croître l’amertume de mon cœur, lorsque je considère que les seules lettres qui pouvaient m’informer de ses horribles vues, m’armer contre lui et contre ses infames complices, sont celles qui sont tombées entre ses mains ! Quel malheur pour moi que mon évasion même lui ait donné l’occasion de les recevoir ! Cependant je ne cesse pas de m’étonner que ce Tomlinson ait pu découvrir ce qui s’était passé entre M Hickman et mon oncle. De toutes les circonstances, c’est celle qui m’a le plus aveuglée sur le caractère de cet imposteur. Les moyens par lesquels M Lovelace est parvenu lui-même à me trouver dans Hamstead, ne demeureront pas moins impénétrables pour moi. Il peut faire gloire de ses artifices. Avec plus de méchanceté que d’esprit, il peut se faire un triomphe d’avoir abusé de la simplicité de mon cœur : mais j’ose me promettre de la bonté du ciel un sort heureux dans une autre vie, tandis que le sien… hélas ! Mes désirs de vengeance ne vont pas jusqu’à cet excès. Adieu, ma très-chère amie ! Puissiez-vous être heureuse ! Alors votre Clarisse ne sera pas tout-à-fait misérable.



Miss Howe, à Miss Clarisse Harlove.

mercredi au soir, 12 de juillet. Votre abattement, ma très-chère Clarisse, me jette dans des alarmes qui m’ ôtent le repos et le sommeil ; il faut que je vous écrive ; mon inquiétude ne peut trouver d’autre soulagement. Souffrez, ma chère, mon excellente amie, souffrez que je vous conjure de ne pas vous abandonner à vos peines ; consolez-vous au contraire ; mettez votre consolation dans le triomphe d’une vertu sans tache, et d’une intention irréprochable. Quelle autre femme eût été capable de résister aux épreuves que vous avez surmontées ? Le retour de M Morden ne peut être éloigné : c’est une protection que le ciel vous réserve : vous obtiendrez justice, et pour vous-même, et pour les biens qui vous appartiennent. Combien d’heureux jours n’avez-vous pas encore à vous promettre ! Le pire de tous vos maux serait d’aggraver, par un coupable désespoir, des accidens auxquels vous ne pouvez remédier. Mais pourquoi, ma chère, cette continuation d’ardeur pour votre réconciliation avec une famille implacable, qui mérite si peu vos sentimens, et dont les désirs d’ailleurs sont gouvernés par un frère avide,