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du Chev. Grandisson.

êtes chargée du Prologue. Je juge que Charlotte a son rolle prêt aussi. Il est tems que cette farce finisse. Prenez toutes deux vos places ; & croyez-moi, cessez de faire les folles.

L’avis étoit admirable, lorsqu’il nous rendoit ce qu’il nous reprochoit d’être. Cependant, les Domestiques entrant avec le dîner, nous toussâmes, nous essuyâmes nos yeux, nous jettâmes l’une vers l’autre quelques regards à la dérobée, & nous nous assîmes à table. Nous prîmes nos cuilieres & nos fourchettes. Nous les remîmes à leur place. Nous les reprîmes, lorsqu’il levoit les yeux sur nous. Nous ne touchâmes aux alimens que du bout des levres. Comme nous étions proches l’une de l’autre, nos yeux s’exerçoient plus que nos dents. L’amour étoit comme arrêté dans le gosier de ma pauvre Sœur. Elle s’efforçoit d’avaller, avec la peine qu’on a dans une esquinancie. On voyoit, à ses contorsions, la difficulté que le passage avoit à s’ouvrir. Et ce qui augmentoit son embarras, comme je puis l’assurer du mien, c’étoient deux yeux, les plus perçans qu’on ait jamais vus dans la tête d’un homme, surtout dans celle d’un Pere, qui se fixoient sur nous tour à tour, & qui, par intervalles, étoient ombragés par des sourcils, dont le mouvement nous faisoit trembler. Les deux pauvres Créatures n’avoient là ni Mere, ni Tante, pour soutenir leur courage. Cependant elles ap-