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XXI
préface

l’imagination, de toucher le cœur, et il n’a réellement pas d’autre but à sa poésie que la poésie. Et, qu’on y prenne bien garde, je ne réédite pas ici la vieille théorie de l’Art pour l’Art. Je crois, au contraire, et je l’ai montré à l’occasion, qu’il est indispensable au poète d’être de son temps, de s’intéresser à la vie qui lutte, souffre, pleure ou chante autour de lui, et j’estime qu’on ne peut produire une œuvre vraiment humaine qu’à la condition d’être foncièrement homme. C’est là un axiome digne de M. de la Palice, tant il est évident. Mais il n’en est pas moins clair que la vie exprimée poétiquement, et la vie réelle, c’est-à-dire l’Art et la Morale, sont deux mondes absolument différents, et qu’on commet un épouvantable sophisme chaque fois qu’on juge l’un à la lumière de l’autre. La vie réelle a pour pôle le bien suivant ceux-ci, l’utile (aliàs le vrai) suivant ceux-là, tandis que l’Art a pour pôle le beau. Or, le beau, le bien, le vrai, ne se confondent que sur la couverture du livre de M. Cousin. En bonne pratique, ils se distinguent, et il ne sauraient se gendarmer l’un contre l’autre sans absurdité. Du moment que la Morale prétend régenter l’Art, je ne vois pas pourquoi la Géométrie, par exemple, ne viendrait pas aussi fourrer là-dedans