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la mer

Son la oula ouli oula oula tchalez
Prend dans le ciel jauni des airs plus désolés,
Quand la voix du soliste, aigre, aiguë et falote,
À la fin du couplet sur un trille tremblote
Comme une larme au bout des cils avant de choir.
Et quand, avec un bruit de nez dans un mouchoir,
Le refrain en des couacs ridicules et tristes
Se déchire au basson enrhumé des choristes.
Le soleil moribond se couche lentement.
Les vieux chantent toujours sans souiller un moment
À les voir, eux et lui, si douloureux, il semble
Qu’ils sont à l’agonie et vont mourir ensemble.
Et quand lui s’est couché dans son sang répandu,
La chanson monte alors comme un appel perdu,
Comme un plaintif appel de fou qui déblatère
Et que nul n’entend plus dans le ciel solitaire.

La oula ouli oula oula tchalez !
Hardi ! les haleurs, oh ! les haleurs, halez !

Ah ! c’est la nuit surtout, en décembre, nuit pleine,
Qu’il faut l’entendre, la lugubre cantilène,
Alors que les haleurs, entrevus vaguement,
La murmurent, lassés, comme un gémissement.
Mélancoliquement ça roule en plainte sourde.
Toujours tirant, toujours chantant, dans l’ombre lourde
Ils vont, et sans les voir longtemps on les entend.
Rauque et lent, le refrain se traîne en sanglotant.
Tout là-bas, dans le port, ça s’en va, ça s’enfonce.
Et soudain, quand ça meurt, voici qu’une réponse