Page:Richepin - La Mer, 1894.djvu/297

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
283
les grandes chansons

Une d’elles parfois s’arrache,
La plus monstrueuse souvent,
Et l’Océan alors la crache
Avec son écume en bavant.
De son gigantesque cadavre
Elle pourrait barrer un havre,
Et les marins en la suivant
Pensent voir flotter sur l’eau bleue
Un dragon de plus d’une lieue
Qui tord les anneaux de sa queue
Et qui dresse sa crête au vent.

Imaginez un de nos chênes.
Un grand cèdre, un pin parasol,
Soudainement brisant ses chaînes
Et se déracinant du sol
Pour se livrer au vent qui passe
Et planer là-haut dans l’espace,
Les pieds en l’air, le geste fol ;
Ainsi ces algues démarrées
Planent au-dessus des marées,
Et pour des courses effarées
Dans l’eau roulante ont pris leur vol.

Au centre mort de l’Atlantique
Se forme, à l’abri des courants,
Un marécage fantastique
De tous ces corps mous adhérents.
C’est les Sargasses, les flots d’herbes,
Où Colomb sur ses nefs superbes