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Page:Richepin - La Mer, 1894.djvu/298

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la mer

Eut peur, tant ils pressaient leurs rangs,
Noyés englués en litière
Plus vaste que l’Europe entière,
Liquide et mouvant cimetière
De tous ces cadavres errants.

Ô cadavres saints pour les hommes,
Car c’est de vous que nous sortons !
Ô vieilles algues, nous ne sommes
Que vos suprêmes rejetons.
Dans le primordial mystère,
Quand l’eau couvrait toute la terre.
Squelette sans chair ni tétons.
C’était en vous que la Nature
De vivre risquait l’aventure,
Et notre humanité future
Germait en fleurs dans vos boutons.

Ô vous en qui la vie abonde,
Et qui, même encore à présent,
Retrouvant l’humeur vagabonde,
En êtres vous organisant,
Changez vos fibrilles en pores,
Devenez bêtes, zoospores,
Méduses au disque luisant,
Ô vous qu’à cette heure on méprise
Et dont la chevelure grise
Va s’éparpillant à la brise
Parmi les larmes du jusant.